Museum Tinguely, Bâle
Née en Allemagne en 1940, Rébecca Horn avait cette intuition que
sa langue natale ne pouvait plus alors parler le monde et qu'il
fallait lui substituer un langage plus ouvert, plus universel :
l'art. Elle s'exprimera donc par le corps dans une série
d'installations et de performances qui s’échelonneront dans le
prisme de la relation au manque, à la souffrance ou à l'évasion.
La force de ses interventions réside dans le silence émotionnel
qu'elle s’octroie, laissant l’œuvre se déployer dans toute son
ambiguïté quand elle coïncide tour à tour avec la douceur ou la
violence, l'harmonie et le chaos, le corps et la machine.
L'exposition de Bâle « Fantasmes corporels » met
l'accent sur l'aspect du corps réduit à une machine s'exprimant
notamment par une série de prothèses qui répondent à l'esprit du
Musée Tinguely où elles sont présentées. Elle est le pendant
d'une autre exposition au Centre Pompidou de Metz, « Le théâtre
des métamorphoses » qui met d'avantage l'accent sur la
pratique cinématographique de l'artiste. A Bâle, l’œuvre de
Rébecca Horn évolue dans les méandres de sa complexité tant elle
joue des paradoxes qui la constituent. La légèreté des plumes et
des ailes se heurte à la sécheresse des' prothèses mécaniques.
L'humain se greffe à l'animalité et à la machine. Tous les
scénarios s'écrivent ici à l'ombre des rêves, des cauchemars, des
contes de fées ou des mythologies. Tout l'art de Rébecca Horn
réside dans cette indifférenciation, dans ces créatures hybrides,
dans la multiplicité des pratiques et des matières, images,
sculptures, photographies ou films. La poésie est grinçante et
l'humour léger. Une beauté maladive transpire de cette univers
contaminé par une immense solitude.
Tour à tour dépouillées ou lyriques, les pièces présentées,
au-delà de leur aspect obsédant, déploient un champ de créativité
très personnel. La richesse de l'expérimentation permet à
l'imaginaire de se revêtir des formes les plus inédites. Les
œuvres, dans le sillage du surréalisme et du dadaïsme, oscillent
entre la tension d'un conte cruel et la légèreté d'un cérémonial
initiatique. Les ailes sont omniprésentes. Métaphores d'un envol ou
d'une chute, l'artiste les pare de cette incertitude pour une œuvre
où chacun se confrontera au miroir d'une part de lui-même.