dimanche 12 mai 2019

Clément Cogitore au Musée National Marc Chagall



La postérité d'un peintre ne repose pas tant sur un legs que sur la vitalité des ramifications qu'il aura suggérées à d'autres artistes qui lui succéderont. Ainsi Clément Cogitore, titulaire du Prix Marcel Duchamp en 2018 et l'un des créateurs les plus prometteurs d' aujourd’hui, se mesure à l’œuvre de Chagall mais sur un tout autre registre. Au métier et à la main du peintre, il répond par l’œil du photographe et du vidéaste. Face à l'exubérance colorée de son prédécesseur, Clément Cogitore impose la dramaturgie d'un monochrome assourdi. Deux univers proches et lointains se côtoient alors sur les cimaises du Musée Chagall de Nice pour une même fascination sur la relation des hommes à leur mythologie.
Pour le peintre, le judaïsme représentait un récit fondateur à partir duquel l'imaginaire s'emparait du réel pour l’imprégner d'un humanisme profond où la vie quotidienne, celle des plus humbles, accordait sur cette terre la promesse d'un envol vers un paradis. A cette verticalité aérienne et heureuse, Cogitore oppose une horizontalité tellurique, un repli vers les zones plus obscures de l'humanité: La terre n'est que cet élément bouillonnant où l'homme est saisi dans sa force originelle. L'humanité ne se livre plus que dans l'énergie informelle de la foule. L'individu se fond dans un magma humain d'où sourd la mythologie d'une terre primitive. Il n'est plus qu'une ombre lointaine dans ces œuvres où l'on rencontre aussi bien la grotte de Lascaux que des photographies de désert où le minéral se mêle à des uniformes militaires laissés sur le sol, à peine perceptibles, tels des enveloppes vidées de leur contenu humain. Cette autre horizontalité encore, avec un lent travelling, dans la vidéo « Passages », qui agit par une découpe de lumières révélant l'ossature d'une architecture ancienne et des objets religieux abandonnés à leur seule répétition. Le récit reste ouvert, lacunaire. Il procède par fragments, indices, brides de mémoire qui suscitent toujours d'autres chapitres possibles.
Nous voici alors confrontés aux frontières du visible. La vraie narration se situe dans un hors champ que l'artiste ne cesse de désigner. Tout se joue dans cet ailleurs trouble mis en scène par les seuls effets qu'il produit. Un bleu nocturne s'empare de cet espace qui n'est plus qu'allusif. Une brume de fumée rend la scène mouvante et se répand comme le souvenir d'un brasier primitif, d' un centre invisible, d'un feu autour duquel les hommes se confieraient à la seule transe d'une danse sauvage ou salvatrice. Clément Cogitore fouille le temps dans tous ses recoins comme pour en exhumer les mythes et les archétypes, mettre à nu la terre, le ciel et le feu. De l'art, il poursuit le long cheminement de la peinture dont il extrait les figures iconiques, les gestes maniéristes et le drapé du clair-obscur. Quelque part, peut-être, l'homme en surgit-il par d'hypothétiques fulgurances, dans l' effervescence de la nuit. Aux hommes de Chagall qui sont déjà des anges sauvés par l'amour, Clément Cogitore oppose des êtres encore saisis dans l'angoisse d'une glaise primitive. Comme s'il savait qu'il n'y aura jamais d'anges avant que nous ne devenions des hommes.

Exposition jusqu'au 22 octobre 2019













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