jeudi 27 août 2020

Ursula Biemann « Savoirs indigènes – Fictions cosmologiques »

 



MAMAC, Nice

Du 28 août au 17 janvier 2021


La nature comme devenir



Comme simple décor d'une mise en scène de l'humanité, la nature n'a cessé d' irriguer le champ artistique, en particulier la peinture, à moins qu'elle ne fût représentée dans la domestication d'un paysage. Et même le réalisme de Courbet ne se départait alors pas de l'idéalisation romantique des sources et des forêts. Désormais les artistes contemporains s'impliquent dans les racines mêmes de cette nature-mère à travers un cheminement scientifique et une revendication écologique. L'artiste suisse, Ursula Biemann, née en 1955, n'a cessé d'explorer les relations qui nous lient à elle mais, au-delà d'une simple accusation ou d'une perspective catastrophique, elle trace les contours de ces liens à partir d'installations où dominent les vidéos, les documents, les sons où le simple reportage laisse place à une trame subtile dans laquelle passé, présent et futur agissent de conserve. Réel et fiction se nouent alors dans une même aspiration à dire le monde, ce récit où les hommes, l'eau et la terre interagissent dans une histoire aussi intime que conflictuelle. De ses voyages, elle laisse la parole aux indigènes de la forêt équatoriale qui parvinrent à établir une jurisprudence pour retrouver leurs droits ancestraux face à la déforestation, à l'exploitation pétrolière et à l'agriculture intensive. Elle superpose les images des mines de sable bitumeux dans le Nord du Canada avec celles de la construction d'une digue de boue au Bangladesh quand la population doit se battre pour sa survie face au dérèglement climatique : c'est ce parallèle des causes qui s’enchaînent dans un « effet papillon » où les conséquences se propagent de part et d'autre de la planète. Pourtant l'avenir n'est pas pour autant condamné, encore faut-il y imposer un engagement et cette fiction qu'il porte en lui. Dans « Subatlantic », Ursula Biemann met en écho des images des Îles Shetland, d'une baie du Groenland et d'une petite île des Caraïbes avec la voix-off d'un scientifique imaginaire et voici que le documentaire sur l'anthropocène s’imprègne de science-fiction et se nourrit de la possibilité de nouvelles espèces... Plus que d'aligner les minutes d'un procès, l'artiste s'engage dans un processus de « droit à la nature » à travers lequel se recompose l'ensemble des défis sociétaux. L’œuvre est ancrée dans l'actualité mais a le mérite de permettre à l'imaginaire de s'ouvrir vers d'autres possibles.

samedi 22 août 2020

Armand Avril et les Bozo

 


Centre d'Art La Falaise, Cotignac (Var)    

Jusqu'au 25 avril 2020


Peut-on être artiste quand dès l'enfance l'on s'initia à la peinture grâce à son père mais qu'on n'a pas pour autant suivi une formation dans une école d'art ? Âgé de 95 ans, Armand Avril n' a cessé de se nourrir d'une profonde culture artistique et, comme nombre d'autodidactes, il répugne à entrer dans un système et à s'enfermer dans des codes. Être libre est un acte authentique de rébellion. Alors est-il difficile de classer un tel artiste qui s'inspira à ses débuts de Gaston Chaissac et de Louis Pons, de l'art brut mais aussi des arts premiers quand ses nombreux voyages l’entraînèrent notamment sur les traces des ethnies africaines, en particulier celles des Bozo du Mali dont il devint un fervent collectionneur de masques et autres marionnettes. Armand Avril expose aujourd'hui dans son village d'adoption, 12 ans après avoir présenté ses œuvres au Musée des Beaux-Arts de Lyon, sa ville natale, et après une longue carrière artistique dans de nombreuses galeries en France et à l'étranger. C'est donc ici sa relation avec les arts primitifs du Mali que l'artiste met en scène avec ses propres assemblages et de nombreux objets Bozo issus de sa collection. L'austérité des matériaux, la simplicité de la couleur, la puissance expressive se répondent d'un univers à l'autre et sans s'astreindre à un simple dialogue avec l'art populaire africain, Armand Avril diffuse son souffle dans une totale liberté. Son œuvre privilégie les montages insolites avec les matériaux de récupération sans jamais vouloir les sublimer : La réalité se suffit à elle-même aussi faut-il s'affranchir également des conventions artistiques. Des collages, des objets de rebut, des clous ou des matières non identifiables pour des sortes de bas-reliefs dans un art qui répugne au sacré. Derrière cette œuvre brute, on devine une colère authentique, un humour ravageur, la revendication d'une parole ouverte au monde, avec un mépris souverain vis à vis des élites et des croyances. Fils d'un ouvrier passionné d'art et engagé qui mourut en déportation, Armand Avril reste cet artiste indomptable dont les œuvres parlent du monde, et ici de l'Afrique, dans une grande humanité et dans des formes inédites.

vendredi 7 août 2020

Henri Cueco, « Jeune peintre »

 

Musée d'Art Moderne et Contemporain, Les Sables d'Olonne   Jusqu'au 21 septembre 2020

D'ordinaire lorsqu'une exposition retrace le parcours d'un artiste, elle s'attache, au-delà d'une simple chronologie, à extraire et à organiser les séquences d'une œuvre qui progresse par découvertes successives jusqu'à son illusoire accomplissement. Pourtant l'œuvre d'Henri Cueco ne peut s'insérer dans ce cadre tant elle déjoue les différents moments qui construisent une œuvre : les retours en arrière se confrontent aux avancées, les thèmes choisis - natures mortes, images de la nature ou figures humaines - se bousculent par la seule cohérence des passions du peintre. Henri Cueco peint la peinture. Avec des couleurs et des lignes certes, mais aussi avec son histoire, avec des mots, des citations, avec sa vie personnelle de fils de peintre, de militant politique, d'écrivain ou d'animateur à France Culture.

Disparu en 2017, Henri Cueco fut tout cela et l'exposition du Musée des Sables d'Olonne relate cette aventure d'un « jeune peintre » entre les années 50 et les années 70 quand il expérimenta des formes nouvelles tout en explorant les voies plus académiques de l'abstraction d'alors ou de la nature morte. Des recherches contradictoires et foisonnantes qui permirent à l'artiste de construire une grammaire très personnelle dans une « figuration narrative » dont il sera l'un des principaux protagonistes avec Erro, Adami ou Arroyo. L’œuvre de Cueco est ainsi faite de séries successives, d'agglomérations d'images qui se chevauchent ou se contaminent mutuellement autour d'un thème pour un récit toujours indéfini mais portant en lui toutes les contradictions qui en soulignent un rythme et une dramaturgie. Les indices s'assemblent dans un puzzle avec des figures animales, des silhouettes qui évoluent dans un cadre anonyme. Le sens reste en suspens ; la psychologie ou le sujet sont absents. La vérité du modèle ou de l'image, la finalité de la représentation, le cliché ou l'épreuve de la réalité, tout se dissout face au désordre du monde. Henri Cueco nous renvoie son reflet fragmenté, ses cicatrices d'où surgissent des jets de rêves et de lumière. L'engagement politique rejoint alors les plaies du monde et le soleil de l'utopie. Il y a de l'eau, des herbes, des fleurs naïves et des chiens. De la douceur qui pourrait mordre. L'art se blottit ici dans cette hésitation qui l'absorbe.