lundi 20 février 2023

Marcel Alocco, «La peinture en fragments»

 


MAMAC, Nice



Emprunter la trace d’un animal de Lascaux, une figure de Matisse, un idéogramme chinois ou une signalisation routière, ce sera toujours se référer à l’universalité d’un langage à travers l’image. Mettre en regard celle-ci avec les mots, la dépouiller de toute narration de manière à en faire surgir la seule autorité du signe dans sa résonance poétique, voici autant de préoccupations qui président à l’œuvre de Marcel Alocco.

Depuis les années 60, celui-ci, aux confluences de Fluxus et de Support-Surface, s’est attaché à rendre compte de la matérialité de la peinture à travers celle des objets et se mesurer à l’abstraction du signe dans une époque marquée par la sémiologie et les réflexions sur la poétique. Et Marcel Alocco, de culture littéraire et dans une quête de poésie visuelle, s’empare de la peinture dans la recherche d’une autre grammaire pour explorer la relation des mots et des choses.

Accorder ou désaccorder les éléments de la peinture, le châssis, les couleurs, le tissus et la figure, autant de pistes pour une syntaxe personnelle et la construction de ces «patchworks» qui deviendront la signature de l’artiste. De ses rencontres avec George Brecht et avec Ben qui en 1967 l’exposera dans sa galerie «Ben doute de tout», il conservera l’idée de la prédominance d’un langage qu’il prélève à travers formes et matières. C’est ainsi que les œuvres présentées renvoient à des objets traduisant  la poétique du quotidien de Fluxus tandis que les autres, plus tardives, s’inspirent davantage d’une démarche intellectuelle d’analyse de l’image. Celle-ci n’existe qu’en relation à son support, à ses références et à son contexte. Aussi Marcel Alocco crée-t-il ses assemblages à partir de toiles de draps qu’il découpe, réassemble de façon aléatoire en les cousant et en y imprimant au pochoir ou au tampon, un signe iconique rappelant un logo, un moment de la peinture ou le style d’un artiste.

«La peinture en fragments» est ainsi une plongée dans le temps, un regard critique et distancié sur ce qui a constitué l’histoire de l’art. Et l’artiste poursuit ses recherches jusqu’à extraire la figure de sa trame en "dépeignant" le tissus, fil après fil, pour faire surgir l’image comme une trace ou une empreinte dans la mémoire de la matière. C’est ainsi que dans la blancheur d’un tissus patiemment déchiré, apparaissent les fils qui dessinent en transparence la Danse de Matisse. Et le nom de celui-ci n’est sans doute pas étranger à son choix de «tisser» et de rappeler l’humilité du geste artisanal. Voir, réfléchir, faire, voici une pensée en acte dans le corps même de la peinture et Marcel Alocco nous en restitue de savoureux instants.



lundi 13 février 2023

«FLUXUS, Côte d'Azur»


 


Galerie Eva Vautier, Nice

Jusqu'au 23 mars 2023



Fluxus, la grande aventure


Se saisir corps à corps du présent sans autre prédestination que cet instant où l'événement se produit, telle fut la déflagration que Fluxus opéra dans le monde de l'art. L'abolition des frontières entre l'art et la vie, le «happening», l'intervention du hasard et la seule énergie du quotidien imprimèrent alors durablement la vie artistique. L'esprit de Fluxus se perçoit encore aujourd'hui dans nombre d’installations et de performances contemporaines et il importait donc d'en raviver la trace.

Dès le début des années 50 se développe aux États-Unis comme en Europe occidentale, en écho au Dadaïsme, un mouvement qui intègre l’œuvre au créateur et incorpore, souvent avec humour, l'ensemble des activités artistiques - musique, peinture ou poésie - dans une même utopie créatrice autour des productions de George Brecht et de John Cage. Ce n'est pourtant qu'en 1961 que l’appellation Fluxus se diffuse à partir d’une revue et d'expériences initiées par Georges Maciunas. En 1962 son manifeste propose de «promouvoir la réalité du NON ART pour qu'elle soit saisie par tout le monde». Une série de concerts se tiennent alors en Europe jusqu'au dernier festival «Fluxus Art Total» qui aura lieu durant l'été 1963 à Nice. Maciunas y rejoint Ben Vautier rencontré à Londres l’année précédente et c'est alors que l'aventure fluxus se répand sur la Côte d'Azur.

L'exposition «1963-68...2023» nous raconte cette histoire qui se déroule dans un cadre réduit entre Nice et Villefranche-sur-mer. Nombre de documents et d’œuvres de quelques dizaines d'artistes proches de fluxus jalonnent un parcours foisonnant avec Ben pour chef d'orchestre. Celui-ci ouvre à Nice le magasin «Ben doute de tout» tandis qu'à Villefranche, peu après, Robert Filliou et George Brecht installeront «La cédille qui sourit». Jusqu'en 1968 les événements et les expérimentations les plus audacieuses se multiplient sur ce territoire et les archives de Ben et de Marcel Alocco nous en restituent les principaux épisodes.

Affiches, tracts, dessins, photographies et documents personnels nous entraînent dans cet univers joyeux où le monde se réinvente. A côté d'une salle consacrée à ce récit, un autre espace présente des œuvres qui se répondent dans un désordre jubilatoire d'objets, de fulgurances, d'absurdités ou de pensée magique. Poésie, formes et couleurs se télescopent ainsi pour faire renaître l'aventure fluxus. Des peignes de John M Armleder, des collages de Spoerri ou les mots labyrinthiques de Jean Dupuy, nous fournissent autant d'occasions de nous plonger dans cette liberté folle qui bouleversa notre conception de l'art.