Villa Arson, Nice
Jusqu'au 19 septembre 2021
Étrange paradoxe de parcourir une œuvre aussi multiforme tout en ressentant la présence d'un univers très personnel dans lequel l'artiste feint de nous égarer à travers l'espace labyrinthique de la Villa Arson sans autre fil directeur que ces dessins, ces tapisseries ou les photos documentaires qu'elle sème sur son parcours . D'origine nigériane, Otobong Nkanga nous parle de l'Afrique et de la femme africaine mais par les détours les plus inattendus tels que l'économie, la géologie, la poésie écrite ou sonore, ou l'artisanat. De ce brouillage apparent, une trame se constitue par une multitude de fragments qui s'agencent dans un réseau dont la structure se diffuse d'une salle à l'autre par de vastes compositions. Il ne s'agit plus alors d'élaborer un récit mais d'exposer les ramifications de ce qui relie la Terre, l'Histoire et les Hommes. Et l'artiste, à partir d'assemblages pareils à des coupes géologiques, laisse apparaître toutes les strates de l'interprétation. Rien de linéaire donc pour un horizon qu'on ne peut qu'imaginer dans son titre : « When looking Across the sea, Do you dream ? »
Les productions humaines sont ici soumises au filtre du minéral et du végétal. Les tapisseries artisanales où se lisent la mémoire de l'Afrique révèlent aussi la connectivité numérique. Et l'artiste met en scène ces réseaux signifiants qui irriguent l'univers, du microcosme à l'infini, avec, par exemple, des noix de Kola pour leur pouvoir coloré et leur charge symbolique dans les légendes. Ailleurs il y aura des racines qui se confondent aux fruits et aux fleurs. Et la brillance du mica qui se heurte à celle du savon noir. Pourtant cet enchevêtrement sémantique et visuel prend sens dans une cosmogonie qui parle aussi bien du temps que de l'exploitation minière à partir de graines ou de sable. Les œuvres se répondent dans un écho transformé. Exécutées avec une parfaite maîtrise, elles rebondissent sans cesse sur de nouvelles thématiques dont nous retrouverons la trace sur d'autres supports. Elles tendent à figurer une cartographie de nos civilisations quand celles-ci sont toutes soumises aux caprices du vivant jusque dans le règne minéral. Tout ici évoque des cycles, le jeu des atomes et tout ce qui est en creux, invisible, impensé, avec la déperdition, l'effacement et la circulation du sens dont la conscience se matérialise dans l'art qu'il soit plastique ou performatif. Otobong Nkanga crée une forme de cérémonial visuel pour explorer ces liens invisibles entre le passé et l'avenir, redonner corps à ces membres disloqués semblables à des rouages de « machines célibataires ». Oui, quand nous regardons à travers la mer, nous rêvons.