mercredi 20 décembre 2023

«Vivre pour l’art». Les collections Trachel et Rothschild à Nice.

 


Musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Nice

Jusqu’au 28 avril 2024



C’est un instant particulier de l’histoire de l’art que cette exposition relate mais, ne serait-ce que par le choix de ses acteurs, elle justifie pleinement son ancrage à Nice. En effet au XIXe siècle, une classe sociale aisée et européenne établit les prémisses du «tourisme» - mot qui apparaît alors comme un anglicisme. C’est le «Grand Tour» essentiellement tourné vers la Méditerranée et l’Italie, avec la découverte de l’antiquité et une ouverture vers les arts au-delà de la seule aristocratie. Nice s’épanouit dans ce contexte et le Musée Chéret lui-même fut d’abord construit sous les auspices de l’épouse d’un conseiller du tzar de Russie. L’art n’a plus seulement une fonction symbolique ou décorative, il implique désormais un large public qui désire s’approprier les œuvres et même se rêver «artiste» comme cette jeune anglaise qu’on découvre avec ses croquis et aquarelles au début du roman de Mérimée, Colomba. Il s’agit bien alors de «Vivre pour l’art»! C’est ainsi peut-être qu’on pourra imaginer Charlotte de Rothschild...

Cette aventure entre deux familles, les Trachel et les Rothschild, nous est racontée à partir d’une donation de 1700 œuvres dont 250 ont été sélectionnées pour cette vaste exposition qui se prolonge ailleurs dans la ville, au Palais Lascaris et au Musée Masséna.

De 1820 à 1872 Hercule Trachel parcourt l’Europe, emprunte l’aquarelle aux anglais; il peint et acquiert, au gré de ses pérégrinations et de la générosité de ses mécènes, de nombreux objets d’art dont certains sont présentés ici. La famille De Rothschild l’accompagne souvent en Italie et la baronne Charlotte qui s’initie à l’art avec lui, l’accompagnera pendant plus d’une décennie dans ses voyages à travers l’Europe. L’Italie, en particulier Venise, leur offre des vues saisissantes que Charlotte restitue dans des aquarelles d’une authentique sensibilité tandis qu’Hercule Trachel utilise ses croquis pour les transformer à l’atelier en de vastes compositions à l’huile. Ces panoramas lumineux et pittoresques répondant alors aux goûts d’un vaste public, rencontrèrent un succès certain. De nombreux paysages des deux artistes nous entraînent dans ce périple où les peintures accompagnent des œuvres acquises en particulier par Charlotte - des toiles de la Renaissance, des bijoux, des instruments de musique…

Au-delà de ces deux personnages hauts en couleur et à la forte personnalité, ce sont deux familles qui illustrent ce récit avec, en particulier, Antoine Trachel, frère cadet d’Hercule et artisan d’art, créateur de meubles, de coffrets et de bas-reliefs. Mais aussi son autre frère, Dominique, qui réalise de nombreuses marines. Ce sont donc des œuvres très diverses qui se succèdent dans l’atmosphère d’un vaste cabinet de curiosités qui restitue l’atmosphère de la Riviera avec cette soif de connaître qui fut celle de sa population cosmopolite. Vivre pour l’art au XIXe siècle fut cette belle page dont les images lumineuses imprègnent encore l’histoire de la Côte d’Azur.



vendredi 1 décembre 2023

Pier Paolo Calzolari, «Casa ideale»

 

Villa Paloma, Nouveau Musée National de Monaco

Jusqu’au 7 avril 2024



Penser la maison idéale c’est définir de nouvelles formes, développer d’autres attitudes pour une autre façon d’habiter le monde. Pier Paolo Calzolari appartient à cette mouvance de l’Arte Povera qui, avec Penone, Merz, Pistoletto et quelques autres, à la fin des années 60, bouleversa en Italie la définition même de l’art par sa volonté de l’inscrire en négatif de l’image Pop Art qui prévalait alors. Face au consumérisme et à la saturation spectaculaire, cette mouvance artistique prônera désormais la pauvreté des matériaux, la méditation silencieuse et l’expression du vivant par la seule intelligence des sens. L’exposition présentée à la Villa Paloma avec des œuvres produites entre 1960 et 2014 se veut une illustration de ce Manifeste de l’Arte Povera dans lequel Calzolari revendiquait cette utopie poétique d’une «maison idéale».

Face à la peinture, à son histoire et à ses artifices, Pier Paolo Calzolari, entre sculpture, installation et forme picturale, par le choix de matériaux organiques, l’utilisation de l’humilité du plomb ou du feutre, réécrit une histoire de l’art dans laquelle résonnent pourtant les voix de l’Antiquité ou de la Renaissance. Métaphysique, aspiration mystique et alchimie se confondent alors dans des installations, autels ou bas-reliefs, où le blanc immaculé parle aussi de corruption, de trace sale et de disparition. Blancheur lumineuse du sel qui corrode ou du givre qui fond, la couleur est celle des éléments fondamentaux qui se mêlent au rebus, au végétal, à l’inscription ou à l’éphémère. Cette lumière répond pourtant à celle du néon dont les signes, à moins qu’ils ne fussent déjà des mots, écrivent l’espace d’un fleuve bleuté qui l’auréole de mystère.

Sont-ce des autels ou des suaires, des plis et des replis de sens, des vanités, la vie et la mort? Tout coïncide ici dans une œuvre tout à la fois grave et sereine, dans laquelle l’éphémère se conjugue à l’éternité, l’humanité à la plume d’un oiseau ou à des feuilles mortes dont on pressent encore le froissement. Calzolari sait ce souffle de l’écriture quand elle se saisit de fragments comme autant de signes qu’il nous faut déchiffrer pour dévoiler cet «être au monde» qui nous unit. Une grand table, Tomeo («Ptolémée») est dressée, comme rappel de ce géographe de l’antiquité. A la surface de ce meuble de cuivre réfrigéré, une couche de givre fond peu à peu pour délivrer sur ses bords, des reliefs encadrant des semblants de rivières et de lacs. Métaphore d’une terre plate telle que les anciens l’imaginèrent. L’art est cette lecture du temps, de ses contractions et de l’éphémère.

 Ailleurs l’artiste dispose un miroir de cuivre tel un «Memento mori» sur lequel notre visage apparaît dans un cadre constellé de feuilles d’arbre de Judée desséchées. Voici donc un mobilier tout en mouvements et en vagues pour exprimer le flux du temps dans lequel l’humain se brasse aux aspérités du bois, au feu ou à la glace. Nous habitons cette maison dans laquelle reposent aussi six matelas blancs alignés où s’inscrivent en néon des mots peu déchiffrables. Permanence de ce blanc qui taraude l’œuvre de Calzolari mais d’un blanc aux multiples variations qui épouse cette superbe méditation poétique sur ce temps qui s’accorderait à notre maison idéale pour peu que nous sachions y vivre et l’aimer.