Institut
d'Art Contemporain, Villeurbanne
Jusqu'au
3 mai 2020
Déconcertante
par son caractère hypnotique et sa complexité, l’œuvre de Fabien
Giraud et Raphaël Siboni ne peut laisser indifférent. Tout ici
est déchirure et déchirement, fiction et réalité, vie et mort.
Mais au-delà de l'errance à laquelle elle nous soumet, cette œuvre
est un récit ou, plus précisément, une juxtaposition de séquences
morcelées où s'agrippent des voix lointaines et obsessionnelles,
des films lents ou saccadés qui diffusent de la mémoire ou les
vestiges d'un temps lointain comme l'écho de notre futur.
L'IAC
de Villeurbanne se transforme pour l'occasion en labyrinthe
austère dont les salles ne permettent plus aucune circulation
linéaire. Au contraire, elles communiquent même par des trouées
latérales qui permettent au regard de s'exercer sur des salles
annexes. Des tubulures parfois en mouvements et des incisions
murales supposées correspondre à l'axe de la terre, créent un
réseau inextricable d'un lieu à l'autre, un espace déconcertant
qui happe le visiteur.
Le
décor est posé, tout est lenteur, palpitation impalpable d'une vie
qui germe et s'éteint dans un même geste. Le sol est jonché de
déchets, borné par des traces de moisissure, de sel et de
sculptures d'objets érodées tandis que du plafond, des sceaux ou
d'autres dispositifs arrimés par des cordages, deviennent des
sabliers desquelles des gouttes d'eau s'écoulent comme des
poussières de temps. Et surtout, des corps vivants et bien réels
dans leur absolu immobilité, ponctuent l'espace, allongés dans des
positions de misère au milieu des détritus.
Tout
ceci ne pourrait être qu'une mise en scène ambiguë si l'enjeu ne
résidait pas dans la structuration d'un récit avec toutes ses
composantes - films, performances, installations avec des caméras et
des ébauches de sculptures - pour un voyage au-delà de toute
frontière mentale. De forme étoilée, cette fiction se défriche
douloureusement et nous confronte à la banalité de nos schémas
narratifs. Réel et imaginaire se croisent dans un scénario ou des
mortels se rejoignent pour créer en 1894 un phalanstère communiste.
Et toute l'expérience de l'exposition se réalise sur l'idée du
capital, de la valeur et de l'échange. Tout sera ici signifié par
ces indices d'un stricte signifiant économique quand l'échange se
réduisait au sel, aux plumes et aux objets les plus pauvres avant
toute autre monnaie. Le sel est au cœur de cette œuvre quand il
sert à la composition de masques blancs, tel des résidus
d'échanges mais aussi un rappel de la conservation des corps. Vie et
mort, naissance et disparition, traversent la narration. « Infantia »
c'est ce premier balbutiement du monde mais aussi son dernier râle.
Les vagues du temps se déplient et se déploient dans l'espace qui
alors s'étoile et se fêle. Échange et valeur règnent ici dans
leur grande solitude. La fiction nous transporte jusqu'en 7231 où
des immortels vivraient sur une nouvelle terre qu'ils auraient
construite sur les ruines de l'ancienne.
Utopie et uchronie se croisent
dans des mouvements ondulatoires quand la réalité est toujours
proche, obsédante dans le miroir implacable de la fiction. Fabien
Giraud et Raphaël Sidoni parviennent ainsi à agréger des
bribes d'histoire réelle, une interview de Nixon en 1971 et des
méditations délirantes qui nous projettent dans l'univers d'un
Escape Game inquiet. L'expérience est réussie : cette
histoire nous hante et, tout en déambulant dans l'exposition, le
visiteur cherche la clé d'une énigme dont lui seul aura peut-être
la réponse.