On
ne trouvera hélas plus guère d'artiste français de moins de 60 ans
encore vivant et jouissant d'une notoriété internationale. Pierre
Soulages, du haut de sa centième année, est cette figure de
proue d'une génération de peintres à qui l’on n'accorda aucune succession et, lorsqu'il s'acharna à extraire la profondeur
lumineuse du noir, peut-être inconsciemment célébrait-t-il déjà
le deuil du grand art français. Pourtant l'intérêt de l'exposition
niçoise, outre la qualité des pièces présentées, réside dans
l'illustration de la trajectoire du peintre à travers les
influences qu'il subit et toutes les explorations qui lui
permirent d'acquérir la pleine autonomie d'une oeuvre toujours vivante et cet Outrenoir qui
consacra sa célébrité.
Un
parcours chronologique réunit donc 72 œuvres de l'artiste, dont 25
peintures et même, fait rarissime, une sculpture. De 1948 à 2008,
Pierre Soulages traverse les grands courants de son époque avec toujours cette volonté farouche de traduire au plus près l'essence même de la
peinture, la puissance d'une matière, la dignité d'un signe,
l'autorité de la couleur. Et en dépit de sa grande diversité,
l’œuvre n'a jamais rompu ce fil. L'exposition a le mérite de
nous montrer ce cheminement en parallèle avec la présentation de quelques peintures de ceux qui, de près ou de loin, l'accompagnèrent –
Manessier, Hartung, Zao Wou-Ki, Atlan, Picasso et tant
d'autres.
Comment
allier matière et transparence ou faire surgir la lumière dans un
ocre ou dans l’extrême du noir ? Comment animer l'espace à
partir d'un signe primaire et le confronter à la géométrie ?
Ce parcours nous permet d'explorer les solutions originales que l'artiste
apporta dans ses peintures, ses eaux fortes, ses calligraphies ou ses
affiches. Pour un tel voyage, un guide s'impose. Le poète Léopold
Senghor, l'ami qui souvent accompagna le peintre et dont l'oeuvre fut
illustrée par nombre d'artistes majeurs, est celui dont l'esprit répond aux peintures de Soulages. L'exposition
est ainsi jalonnée des traces d'une aura poétique. Pour Pierre
Soulages comme pour le poète, voici un chant du feu qui traverse la nuit
pour une obscurité chargée d'étincelles. C'est la nuit du temps,
une aube primitive d'où va éclore le plein soleil d'un art dans
l'accord parfait de la main et de la pensée. L'outil, celui que
l'artiste a souvent conçu lui-même, apparaît concrètement dans
l'exposition. Mais pour chaque œuvre, son empreinte témoigne du
geste premier du corps, de la dextérité de l'artisan, de la
perfection d'une œuvre. Nul n'y restera insensible. Une telle
unanimité à l'égard d'un artiste fera date en des temps où, pour
seule lumière, l'art d'aujourd'hui n'offre parfois plus que des
étoiles filantes.
Espace culturel Lympia, Nice
Du 8 février au 19 avril 2020
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