Musée Paul Valéry, Sète
Jusqu’au 6 novembre 2022
«Ce fut comme une apparition». On se souvient de ces quelques mots de Stendhal au début de «L’éducation sentimentale». Et, de même, peut-on parfois éprouver cet instant où, par miracle, le regard se confond à une figure qui exerce un effet sidérant de révélation. Mais il y a désormais peu d’éducation pour les yeux comme pour le cœur. Et dans l’art ne subsiste plus que le règne de la pensée avec les multiples modalités qu’on lui accorde. Parcourir l’exposition de François Boisrond c’est pourtant un éveil au monde, par la seule grâce de la peinture et de l’effet d’éblouissement qu’elle peut provoquer quand elle s’assume et se revendique dans toute son intelligence
La peinture se comprend au magnétisme qu’elle produit et à l’autorité de son histoire. Rien de mieux que cette rétrospective pour remonter le fil d’une œuvre, à partir des années 80 et de la «Figuration libre» avec Combas, Di Rosa ou Blanchard. C’est l’époque où le conceptuel et le minimal imposent leur domination et, qu’en France notamment, on rejette violemment la tradition et l’idée même de peinture. François Boisrond est au contraire l’un de ces quelques artistes qui veulent réconcilier l’art avec la vie en revendiquant sa veine populaire. Les premiers tableaux illustrent cette sauvagerie heureuse dans la mémoire de l'enfance, de la bande dessinée ou du pop art. Le support papier, tissus ou carton répond à des traits rapides et à des couleurs brutales pour faire jaillir l’éclat de la vie et de la liberté à l’intérieur d’une image. Un visage à peine esquissé parmi des plans épars du quotidien, une télévision, un lit et toujours ce simple éloge de la banalité dans un temps suspendu.
De l’art urbain tel qu’il existe alors en Amérique avec Keith Haring ou Kenny Scharf, Boisrond n’en garde que la spontanéité. La peinture, sa composition, sa lumière et sa matière s’intègrent à l’énergie vitale, et confèrent à l’image le pouvoir d’en restituer les contours. La vie dans son essence même, tel est l’enjeu et le thème de cette œuvre. Peu à peu, le tableau pourtant devient plus complexe, les scènes s’élargissent, les images se superposent. Dans les années 2000, l’écran, le Polaroid, assurent la transition entre le réel et la peinture et l’artiste oscille entre l’universalité de l’image extraite d’une encyclopédie et des fragments d’autobiographie.
Puis c’est la découverte de la peinture à l’huile et de la photo numérique. Et François Boisrond, fils de cinéaste, peint d’après l’écran, accentue les effets de flou et de mise en scène. La palette s’assombrit alors pour des effets saisissants de relecture de l’histoire de l’art. Il se confronte à Watteau ou à Manet, il accentue le clair obscur ou défie la perspective. La chair s’imprègne d’une densité telle qu’elle échappe au réel en le magnifiant. De plus en plus les figures s’intègrent aussi au décor; les personnages sont d’évidence des comédiens et on devine que la vie n’est peut-être alors qu’une scène tragique.
Il faut suivre cette fascinante progression du peintre vers le numérique et son incroyable talent pour toujours nous surprendre! Construit à partir d’une scénographie chronologique, le parcours se poursuit sur une centaine d’œuvres qui sont autant d’illuminations joyeuses ou inquiètes sur la vie quotidienne et ses mystères. On y lit l’intimité de François Boisrond à l’intérieur de sa peinture et c’est bien celle-ci qui ne cesse d’agir magiquement sur celui qui la contemple. Regarder un tableau de Boisrond c’est comprendre un sourire, s’émouvoir d’une ombre, se confronter à soi-même. Et le Musée Paul Valéry de Sète est aussi un lieu superbe à découvrir.