L’interaction de l’art et de la vie ne cesse de hanter la création contemporaine et, d’une exposition à l’autre, nous voici confrontés à une multitude de propositions disparates mais toujours dans cette même volonté de faire écho à notre environnement et de donner forme aux liens qui rattachent l’artiste à la société. Pour Martine Feipel et Jean Béchameil, il ne s’agit donc pas tant d’explorer de nouveaux territoires que d’associer la sculpture ou l’architecture dans leur relation contradictoire au réel et à l’imaginaire. «Traversée de la nuit» est une vidéo illustrant une procession nocturne, allégorie de migrations où les personnages portent en guise de revendications des effigies de cigales, de pieds ou de scarabées réduits à l’effet de signes dévitalisés. Le duo d’artistes excelle dans ces cérémonies sous forme de performances filmées mais aussi de compositions en résine acrylique de figures géométriques ou d'une nature épurée. Inquiétude ou résilience se disputent dans les paradoxes des arbres, d’une ruine et d’une robotisation exacerbée. L’univers se réduit alors à ce conflit ouvert par lequel la rigueur minimaliste et l’obsession utilitaire se confrontent à une communauté humaine.
Ici s’entremêlent poésie et politique quand Feipel & Béchameil dans un registre très ouvert, fait appel à la robotisation et au mouvement pour traiter dans des matières neutres, résine, plâtre ou céramique, un univers parallèle aux couleurs industrielles. Cet univers percute l’histoire de l’art par des allusions au Bauhaus, à Sonia Delaunay et au modernisme. Mais il parle surtout de l’étrangeté de notre rapport au monde quand nous y sommes tous étrangers par le filtre de ces œuvres qui se dérobent à nos certitudes pour interpréter leur propre partition. A la fois collectives et d’apparence évidente, les pièces présentées s’associent pourtant comme des énigmes absorbées dans une même grammaire. La fragilité du sens, l’inutilité des choses se heurtent alors à un désir de beauté, à un rêve d’humanité. Parfois cet art peut sembler froid, hostile. Pourtant pour peu que l’on s’y confie, sa complexité dans l’invention, son intelligence et son défi à toute logique, parviennent à imposer l’idée d’une domination technologique qui aurait contaminé toutes les strates de la société en emportant avec elles le souvenir même de l’art. C’est pourtant bien celui-ci que nos deux artistes revendiquent avec force et dans un humour discret: d’autres matières, d’autres couleurs pour un autre regard sur le monde.