Musée Paul Valéry, Sète
Jusqu’au 5 novembre 2023
Art, littérature ou la vie elle-même, tout réside dans la seule construction d’un récit. En ce sens, il n’existerait qu’un art narratif comme pour la peinture qui ne cessa d’illustrer un récit mythologique, religieux ou héroïque avant même de saisir la réalité d’un corps, d’un visage ou d’un paysage. Le récit personnel s’ancre ainsi dans un récit historique et il s’agit alors soit de le poursuivre dans l’adhésion de l’image au réel, soit de s’en débarrasser en créant les fondements d’un autre récit, celui que la pensée seule élabore quand elle se casse pourtant les dents sur l’écran du monde. Il ne s’agit plus alors de raconter ou de commenter mais bien d’essorer le système de l’image, d’en extraire les normes spectaculaires et marchandes et tout ce qui nous asservit à leur domination. Martial Raysse est celui qui, dans son imagerie pop du néon et des odalisques, connut la gloire et qui, un jour, s’exila dans le Sud-Ouest et rompit avec le monde et le marché de l’art.
Loin d’être un peintre narratif, Martial Raysse est un peintre littéraire qui utilise lignes, couleurs, fond et figures comme des mots. Il confie: «La peinture m’intéresse parce que c’est un langage sans paroles. C’est pour ça que je suis devenu peintre, sinon je serais devenu écrivain. La peinture est un langage universel.» L’artiste ne représente rien d’autre qu’un récit personnel où les émotions s’agglomèrent à l’invention de mythes où des personnages mal léchés, hirsutes et inhumains interprètent dans le cadre du tableau une danse sacrilège pour la peinture elle-même. La couleur est acide, les traits sont louches, les regards suspects, les gestes faux. Le rose est morose et le bleu suinte le blues. De ce désaccord avec la nature et sa reproduction, Martial Raysse écrit une partition folle, sombre et joyeuse qui serait celle d’une danse endiablée si le peintre n’en coagulait le mouvement dans la force silencieuse ou souterraine de l’image. Celle-ci ne cesse d’être la cible de l’artiste qui l’imprègne d’un élément sacrilège, d’un rictus et, souvent d’un titre ironique. Le peintre travaille ici avec des mots issus des fonds d’une mémoire collective et non avec ceux de la grandiloquence de la préciosité de la folie comme le ferait Garouste. En une centaine d’œuvres produites dans les quinze dernières années, une écriture picturale inédite se déploie dans son incandescence sombre et son autorité rieuse.
Martial Raysse est aussi sculpteur et s’autorise tous les matériaux; il écrit des poèmes et réalise de petits films, il dessine et il fait ce qu’il veut. Il est la liberté car la gloire, la mode ou les idéologies n’ont pas de prise sur lui. A elle seule, sa peinture témoigne des désordres du monde qu’il nous revient désormais d’interpréter. Martial Raysse déclara à Otto Hahn: «J’ai fait des études littéraires mais j’ai abandonné car je voulais me consacrer à la poésie. Influencé par Mallarmé, je cherchais à réduire la phrase à sa quintessence pour n’employer que deux mots qui s’entrechoquent.»
Sur les contreforts du cimetière marin, le Musée Paul Valéry de Sète avait présenté l’été dernier une rétrospective passionnante de l’œuvre de François Boisrond, autre artiste aussi célèbre qu’inconnu. Un musée qui devrait être un modèle pour bien d’autres...
"Courage Martial" Huile sur toile, 200x131cm Pinault Collection
Important: Ce blog est voué à disparaître. Merci de vous connecter désormais sur: https://promenadedesarts.blogspot.com/
Abonnez-vous, c'est gratuit et sans pub!