vendredi 30 juillet 2021

Damien Hirst, "Cerisiers en Fleurs"

 Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris

Jusqu'au 2 janvier 2022



                   

Peindre c'est toujours écrire une nouvelle page pour un livre dont on croit tout connaître et qui pourtant, si l’œuvre est suffisamment puissante, apporte cette touche nouvelle qui éclaire autrement l'ensemble de l'ouvrage. On connaît cette histoire-là. Celle de la peinture de paysage et, plus précisément, ces arbres dont le feuillage se confond au ciel, cet espace saturé de lumière comme pour les amandiers de Van Gogh ou les pommiers de Klimt. Une histoire du temps aussi, avec le japonisme, le pointillisme, la matière colorée de Bonnard, le recouvrement de la toile ou plus tard, le jet libre et les coulures hasardeuses avec l'Action Painting et Pollock.

A son début, Damien Hirst illustra l'artificialité de cette peinture par un protocole stricte de points colorés répétés de façon mécanique. Cette série des Spots Paintings inaugura une vaste réflexion sur le geste pictural, son impact sur la représentation et sur les limites de celle-ci. En s'attaquant aux « Cerisiers en Fleurs », l'artiste déjoue les notions d'abstraction et de figuration en revendiquant la monumentalité et la validité de l'ornement. Et pour cela, Damien Hirst ne répugne jamais à l'excès qui, au contraire, est sa marque de fabrique. Pourtant, dans cette nouvelle série de 107 toiles dont 30 sont présentées à la Fondation Cartier, l'artiste revient avec humilité aux racines de la peinture, sans l'aide d' assistants, dans la seule solitude du peintre.

Cette confrontation affirmée avec l'espace et la couleur est aussi un parcours entre matière et fluidité, épaisseur et légèreté. Elle est un rappel allégorique d'une méditation tranquille sur la vie et la mort. Les couleurs doucement acidulées dans une gamme de bleus calmes et d'un rose aérien irriguent la toile parfois jusqu'à l'étouffement. Couleurs et formes s'imprègnent alors de ce combat tour à tour inquiet et jubilatoire avec la toile blanche. « J'ai toujours été un grand amoureux de la peinture et pourtant J'ai constamment cherché à m'en éloigner», déclare Damien Hirst. Ce bel aveu traduit superbement cette hésitation, ce tremblement du sens qui est en jeu dans ce retour à la peinture. L'artiste tourne les pages de son récit avec brio. Avec sensibilité ou, au contraire, dans des effets d’éloignement et d'objectivité, cette peinture chante le temps des cerises qui est aussi celui de la fleur et de la désillusion. Poussée à son paroxysme, la beauté est condamnée à se flétrir. L'immensité des toiles nous invite à pénétrer physiquement dans un monde désordonné de formes et de couleurs dans lequel chacun de nous restituera sa propre histoire pour autant que l'art lui accorde de s'ouvrir à de nouvelles portes de la perception.

 


 

Damien Deroubaix, "La valise d'Orphée" Musée de la Chasse et de la Nature, Paris

 


Le lieu est certes très « chargé » mais pour un Musée consacré à la chasse, rien d'étonnant à ce que cela détonne ! Aussi, d'une salle à l'autre, dans le Musée de la Chasse et de la Nature qui rouvre après deux années de travaux avec l’adjonction à l'Hôtel de Guénégaud dans le Marais de celui, mitoyen, de Mongelas, se développe une histoire singulière. On rebondira sur des trophées de chasse, des collections d'armes et d'improbables cabinets de curiosité. Les murs se parent tour à tour de tableaux et de vitrines, le velours alterne avec le bois, le papier peint suggère quelque histoire secrète, la lumière caresse les ombres et infuse une vie étrange aux animaux empaillés ou aux scènes de genre qui ponctuent un parcours riche en surprises...

En tout, quelques 3500 objets collectés par la Fondation Sommer racontent notre relation à la nature et à la vie sauvage. Les peintures anciennes se confrontent à l'art contemporain pour un effet saisissant quand, par exemple, on s'égare dans une forêt de carton d'Eva Jospin ou une peinture à la cire de Philippe Cognée, un « Paysage vu du train ». Ailleurs les lustres ruissellent d'une lumière mystérieuse pour faire jaillir un bestiaire fantastique où les animaux parlent des hommes. Poésie, science, taxidermie et humour, tout ici s'entremêle. Présent et passé se télescopent. Cette nature recomposée est alors l'écrin d'un songe où la cruauté s'énonce par la densité et le mystère des choses. Elle nous emporte au cœur d'une forêt de Brocéliande recomposée par un mobilier désuet et la trace incertaine des hommes.

Aussi L'exposition temporaire au rez de chaussée pour la réouverture du Musée est elle une introduction à cette expérience initiatique. L'artiste Damien Deroubaix nous plonge dans une sorte de grotte où l'art, la magie et la préhistoire agissent de concert dans une œuvre, « La Valise d'Orphée ». Dans la mythologie, celui-ci avait le pouvoir de charmer les bêtes sauvages. De vastes peintures expressionnistes célèbrent donc ce qui relie la vie animale au cosmos et, en contrepoint, dénoncent l'ignorance et la cruauté des hommes. L'installation composée de peintures dispersées sur le plafond et les murs, mais aussi de sculptures et de gravures sur bois, se construit en parallèle au contenu de la valise d'Orphée : Trois cent minuscules figurines zoomorphiques datant de l'Antiquité qui racontent le mystérieux pacte symbolique qui relie l'humain au règne animal depuis la nuit des temps.




mercredi 7 juillet 2021

Les GIACOMETTI, une famille de créateurs




Fondation Maeght, Saint-Paul de Vence

Jusqu'au 14 novembre 2021


L'été Giacometti


Toujours chez Alberto Giacometti revient ce fil incandescent de la sculpture comme si celle-ci, de ses mains, se réconciliait avec son point d'origine, délivrée de sa matière, réduite à la seule vérité du nerf qui l'organise et lui donne vie. Alberto Giacometti est à la fois celui qui parle de l'origine et qui trace un autre chemin. « L'homme qui marche » est pétri de cendre et, tel le chien ou le chat de ses sculptures, il renifle des miettes de lumière pour continuer à vivre.

La lumière, ce fut son père Giovanni qui, dans la peinture, la célébra. Né en 1868, il inaugura une lignée familiale d'artistes qui durant plus d'un siècle perpétua cette croyance en l'art, cette volonté folle de découvrir la vérité du monde. La Fondation Maeght nous raconte aujourd'hui cette histoire-là qui est celle du feu et de la cendre, celle des braises qui nourrissent de nouvelles flammes pour croire en la vie. Cette aventure s'incarne dans cette famille qui, dans la peinture, la sculpture, la décoration ou l’architecture, embrassa le monde de sa passion créatrice. Giovanni eut trois fils. Alberto, l'aîné, rayonne encore du bronze de ses sculptures émaciées et son œuvre s'expose aujourd'hui à Saint-Paul de Vence comme au Forum Grimaldi de Monaco. Entre l'ombre et la lumière, le plein et le vide, il nous place au cœur de l'acte créateur – celui que Nietzsche évoquait dans « La naissance de la tragédie » : l'opposition fondamentale entre le principe apollinien lié à la lumière et au feu et le principe dionysiaque sous les auspices de l'obscurité et de l'effacement.

Le père, Giovanni, fut l'un des précurseurs de la peinture moderne en Suisse. A côté des plus grands, Félix Valotton, Cuno Amiet et Ferdinand Hodler, ses talents de coloriste s'imposèrent avec une touche serrée et des aplats gorgés de lumière dans la représentation de la montagne ou de scènes familiales. Son autre fils, Diego, collabora à l’œuvre d'Alberto mais dans un souci affirmé du décoratif en intégrant la sculpture dans le mobilier. Meubles et luminaires se parent d'animaux du quotidien pour des fables légères qui illuminent le fer ou le bronze. Le benjamin, Bruno, proche des principes du Bauhaus, se révéla être l'un des architectes suisses les plus importants de l'après-guerre et l'exposition montre plans, maquettes et photographies de ses principales réalisations.

Augusto Giacometti, le cousin de Giovanni, s'illustra dans la première moitié du XXe siècle par une peinture poussée à son paroxysme dans l'emploi de la couleur et son rapport à l'abstraction dont il fut l'un pionniers à côté de Mondrian, Malevitch ou Kandinsky. La Fondation Maeght présente ici une exposition dont l'intérêt documentaire n'oblitère jamais la force des œuvres. Leur présence, dans un large éventail de couleurs et de matières, nous accompagne pour cette passionnante saga familiale qui écrivit l'une des plus belles pages de l'art du siècle dernier.


dimanche 4 juillet 2021

Georges Rousse, "Ici et maintenant"

 


Musée de Vence

jusqu’au 12 décembre 2012

                                             Georges Rousse



Arrêt sur image

En parallèle à l'exposition « Matisse, Méditation niçoise » qui se déroule à partir d'une œuvre majeure réalisée par l'artiste durant son séjour à Vence en 1944, le musée de la ville propose une intervention de Georges Rousse. Si celui-ci est connu pour son travail photographique, il s'empare ici des découpes et des couleurs chaudes du peintre et, plus encore, il se confronte à une œuvre monumentale de Sol Lewitt sur l'ensemble d'une salle attenante. L'effet est spectaculaire quand, par un effet d'anamorphose, les deux compositions murales se confondent et se contrarient mutuellement. L'impact de la couleur sur les figures géométriques détournent les perspectives promises par les lignes tracées par Sol Lewitt sur des surfaces planes tandis que Georges Rousse, en usant d'une même gamme chromatique, prolonge ce jeu à partir des reliefs et des stucs présents dans une autre salle. Le spectateur est immédiatement saisi par une mise en scène qu'il doit lui-même définir en s'insérant dans un point déterminé de l'espace.

 Georges Rousse intervient ici comme peintre et architecte qui perturbe le réel et le quotidien. Dans l'ensemble du Musée, il dissémine une série de travaux réalisés à travers le monde sur des sites désaffectés qu'il retravaille pour les métamorphoser à partir de jeux d'illusion et de perturbation symétrique. Une fois recomposé, l'espace du bâtiment est photographié. La conception de celui-ci est déterminante car elle s'appuie sur le temps. Si le volume du lieu reste identique, la façon de l'habiller autrement, par des jeux optiques ou par de multiples collages de journaux, place le spectateur dans cette béance entre l'avant - un lieu promis à la décrépitude et à la mort - et l'après qui fixe à jamais ce lieu dans une image. Celle-ci promet pourtant l'idée d'une renaissance quand l'artiste ne propose plus une autre réalité mais dépouille l'espace de toute fonctionnalité pour se confronter à l'imaginaire. Les lieux investis se transforment en œuvres d'art et c'est alors toute l’architecture du musée-château qui se trouve transformée par la grâce de l'illusion.



 
Sol Lewitt