lundi 12 décembre 2016

"C'est à vous de voir...", Pascal Pinaud

Espace de l'Art Concret, Mouans-Sartoux


                      En parallèle à l’exposition essentiellement rétrospective de Pascal Pinaud à la Fondation Maeght, le Musée de l’Art Concret de Mouans-Sartoux nous propose une approche plus ludique, plus intimiste de l’œuvre de l’artiste. Il ne s’agit plus de présenter l'oeuvre par rapport à l'architecture d'un lieu en relation avec son extérieur ou de  contempler "l’œuvre en soi" ou encore de la définir par rapport à sa totalité mais plutôt de la faire dialoguer et de la confronter avec un intérieur d’habitation.
                     Ainsi les pièces présentées perdent-elles de leur distance  en se lovant dans une intimité qui altère ou modifie leur signification: Elles sont littéralement « habitées » et dotées d’une aura de douceur et d’humanité qui contredit une abstraction d'apparence froide tout en maintenant cette relation d‘ironie qui assure au lieu l'intelligence qu'elles leur apportent. Une façon aussi de montrer combien la mise en scène d’une œuvre d’art influe, jusqu’à la transformer dans son essence même, et combien l’œuvre par son installation, sa rencontre avec d’autres objets, voire même avec les œuvres d’autres artistes,rend relative  sa définition tout autant que le statut de celui qui la produit.

                     « Cest à vous de voir… » Par ce titre Pascal Pinaud nous passe le relais et nous  rend responsables de l’œuvre dès lors que nous y sommes confrontés. Celle-ci instaure dialogue et convivialité  autant par cette proposition que par l’échange des regards qu’elle implique et la réflexion qu’elle suscite sur ce qui  semble être le socle de la recherche de Pascal Pinaud: Qu’est-ce que la peinture et, en particulier, où est-elle lorsque, en apparence, elle n’est plus là? Et comme toujours, pour répondre au paradoxe, il convient de le prolonger par une réponse tout aussi paradoxale: la visibilité.
                     Il faut voir ces deux expositions car l’une éclaire l’autre en nous installant dans un jeu duquel, à coup sûr, nous sortons toujours gagnants. Et surtout, nous retrouvons dans cette déambulation jubilatoire ce mot si étranger à l’art aujourd’hui: le plaisir.
             M.G









dimanche 11 décembre 2016

Pascal Pinaud, Fondation Maeght "Sempervivum".

Fondation Maeght, Saint Paul de Vence.

"Sempervivum"


                       Le sempervivum c’est d’abord cette plante vivace qui s’accroche à la rocaille, défie les aléas du temps, se pare de formes hybrides et qui,  pourtant, de par sa modestie,  échappe au regard, Elle s’installe dans le déséquilibre tant elle semble se soustraire à ses racines… Sans doute est-ce pour cela qu’elle est « éternelle » à l’instar de cet espace mouvant que nous propose Pascal Pinaud à la Fondation Maeght.

                           Ainsi les œuvres d’art seraient-elles à l’image de cette existence biologique, par leurs développements, leurs relations conflictuelles ou dans leur surgissement accidentel. C'est tout  cela que l’artiste ici propose, dépose, et expose  à partir de prélèvements sur le  réel qui s’appuient  tout autant sur  l’histoire de l’art que sur les modalités matérielles et humaines de son élaboration. Son lexique, sa grammaire, il l’empruntera à ceux-là qui l’inspirèrent: les Nouveaux Réalistes pour le culte de la récupération et des séries, les peintres abstraits, notamment ceux du minimalisme, pour le rapport à la  distance affective qu’ils entretiennent avec le réel. Les références abondent mais restent toujours distancées, formulées dans une ironie discrète. Car Pascal Pinaud sait s’effacer mais toujours ,en bon stratège et à bon escient, pour imposer sa personnalité et son regard. Et ce qui domine alors, c’est l’extrême intelligence d’un propos qui maintient  sa cohérence sans jamais sombrer dans la répétition ou l‘ennui.
                            Il faut dire que, d’une pièce à l’autre, entre des séries  qui se toisent et entrent en conflit, dans une même salle parfois, le spectateur  est pris  dans un jeu dans lequel Pascal Pinaud définit subtilement, et non sans humour, les règles…

                           Et d’ailleurs qui est l’auteur? PPP? Le signe d’une PME pour Pascal Pinaud Peintre? Et de la figure mythique de l’Artiste qu’en reste-t-il quand il fait appel au collectif, quand il renvoie parfois la production à d'autres qu'à lui-même et qu'il s'amuse  tout en rendant hommage à l’anonymat des pratiques les plus humbles, qu'il s'agisse du  tricot ou  la marqueterie? Ou quand il confronte  l’artisanat populaire aux techniques industrielles les plus actuelles par la numérisation , la découpe du verre, le travail sur la lumière du néon ou  les laques sur acier?

                           Pascal Pinaud avec jubilation  contredit les supports avec leurs matières. De même  brouille-t-il, sur  une même pièce, les manières de faire et  tout se concentre alors sur ce paradoxe: Le peintre, plus qu’il ne peint, désigne la position de la peinture. Dans sa présence physique ou dans  son absence comme dans son histoire. La peinture se voit en quelque sorte détournée de son sens usuel, elle s’inscrit en trois dimensions, emprunte les détours de la sculpture; elle rebondit ou s’annule au gré des concepts qui interrogent le monde à partir de la question essentielle de la définition de l’artiste.
                           De cette œuvre multiple, conflictuelle, drôle ou grave, il en ressort cet extraordinaire choc plastique que le cadre de la Fondation Maeght renforce lorsque les pièces dialoguent avec Giacometti, Bonnard ou Chagall… C’est toute l’histoire de la peinture qui se vit , se formule et se formalise ici. Plus que jamais, la beauté n’existe que par le sens et la construction d’une hypothèse en mouvement. Elle n’est jamais donnée. Pascal Pinaud désigne ce trouble. En travaillant sur les marges de la peinture, il parvient, dans un même geste,  à nous en fournir l'idée et à nous la faire voir.
 M.G