Fondation Vincent Van Gogh, Arles
Jusqu'au 31 octobre 2021
Quel tableau déroutant que cette « Piles de romans français » peint à Paris en 1887 par VanGogh ! Cette peinture aux tons pastel surprend par son architecture minimale, son géométrisme hésitant, son motif austère aux lisières de l'abstraction. Hommage à la littérature, ce tableau exposé à la Fondation Van Gogh avec six autres œuvres du peintre, est aussi une représentation formelle du papier, de ce support pour l'illustration dont s'empare aujourd'hui l'artiste américaine Laura Owens. A travers un environnement de papiers peints, celle-ci se confronte à Van Gogh et aux intérieurs des habitations arlésiennes du XIXe siècle pour mettre en scène les notions de contexte et de hiérarchie.
Quelles relations entre l’œuvre et le mur qui l'accueille ? Les peintures sont-elles les mêmes sur un fond monochrome que dans un espace saturé de formes et de couleurs ? Cette recherche contextuelle est à la source du travail de Laura Owens quand elle l'enrichit d'une mise en abyme entre une référence aux tapisseries murales d'époque et les technologies du scanner, de l'impression numérique ou de Photoshop. Le grand écart, tel semble être le pari de cette approche de l'artiste avec le peintre néerlandais mais surtout on y perçoit une volonté de distanciation sous le signe de l'humilité et de l’intelligence. Celui qui écrivit à son frère Théo, « Je croyais que la pensée et non le rêve était notre devoir » se trouve en quelque sorte mis en lecture par Laura Owens. Celle-ci ne commente ni n'interroge la peinture de Van Gogh, elle l'illustre par la matière même de l'illustration, le papier. Mais celui-ci est soumis à un processus complexe de sérigraphies, de procédés numériques et d'interventions manuelles si bien que l'idée d'un décor fonctionnel est détourné au profit d'une série d'effets visuels inédits et de trompe-l’œil qui troublent la perception au point de n'être visibles que par le déplacement de l'observateur.
Le rez-de-chaussée de la Fondation est cet enchevêtrement de salles vouées à ces papiers peints dont les motifs sont inspirés d'une illustratrice anglaise restée inconnue, Winifred How. C'est l'occasion pour Laura Owens de s'interroger sur le statut de l'artiste, sa mythologie, ce qui fait qu'il est reconnu ou ignoré. La hiérarchie des œuvres et la notion de valeur tendent à disparaître quand on transforme l'espace de l'exposition et Laura Owens oppose la gloire du « peintre maudit », présent ici avec pourtant des tableaux de format modeste, et la puissance des motifs inspirés de Winifred How. Aux étages sont présentés d'autres travaux, des dessins, peintures, photographies ou collages. Mais Laura Owens s'attache surtout au papier, aux anciens procédés de sa fabrication, aux pliages et aux illustrations pour enfants. La création de livres se rattache ici intimement à la notion d'art et de décor. Exposés sur des tables, les livres peuvent être manipulés et pleinement ressentis. Et la Fondation se transforme en une lecture inédite de Vincent Van Gogh.