Galerie Depardieu, Nice
Car
l'univers d'Alain Lestié est celui d'une poésie qui ne se livre
jamais entièrement , ni par le regard ni par la raison, quand le
spectateur est incité à suivre les parcours d'une pensée qu'il
devra tenter de reconstruire au fur et à mesure que les indices se
formulent alors qu'au même instant, les traces s'effacent...
Le
jeu subtil du crayon et de la gomme est ici redoutable : il
illustre ce combat de l'apparition et de l’effacement quand l'un
porte le germe de l'autre aussi sûrement que le lien de l'ombre et
de la lumière, du jour et de la nuit.
« Contretemps »,
donc. Combat dans l'espace et dans le temps mis en scène dans le
clair-obscur du dessin. Mais faut-il parler ici de dessin quand ce
n'est plus la ligne qui s'impose et que les formes hésitent dans le
gras du crayon, dans l'antre de masses où couvent d'impérieux
mystères ? En effet cet univers semble chargé des signes d'une
force primitive, chaotique, chargée de questions, de fragments, de
mythes, de mots. Et tout cela s'efface, revient par vagues, crée des
hiatus, se dit et se renie... Ne reste que l'essentiel, c'est à dire
l'indéfinissable, ce qui surgit dans les marges quand de la masse
crayonnée vont sourdre des éclairs de représentation aussitôt
éteints par d'autres qui se superposent à eux – éléments
géométriques, balbutiements d'objets ou de symboles, d'appels, de
mots griffonnés...
Il y
a là la puissance de ces retables d'autrefois quand les scènes se
chevauchaient pour des récits édifiants que le fidèle était
convié à reconstruire. Diptyques, triptyques et autres dispositifs
scéniques se retrouvent ici pour ces mystères à jamais ouverts
puisque le dévoilement provisoire d'un plan se voit annihiler par
d'autres virtualités. Il n'y a plus de clé et le mystère lui-même
se dissout quand le plein et le vide sont le flux et le reflux de
l'espace. Ne reste que l'émerveillement.
Contretemps.
Comme la lumière qui surgit ici par le geste de l'effacement. Comme
ce qui s'efface et ne cesse de se recouvrir dans la beauté d'un
palimpseste : Ici les mots ne sont pas encore des mots, les
choses ne sont que l'écho de celles à venir. Tout ceci est si
fragile, si incertain. Et pourtant tout ceci se joue ici à la lueur
de la poésie, au bout des mains de l'artiste.