mercredi 22 décembre 2021

"La table, un art français" du XVIIe siècle à nos jours

 


HDE Var, Draguignan

Jusqu’au 6 mars 2022




Du Grand Siècle jusqu’aux épures du design ou aux créations déstructurées d’Arman, voici une série de variations autour de la «Table, un art français». Un voyage dans le temps avec toute une lignée d’artisans remarquables pour des objets de toute nature dont la vocation utilitaire se confond à une esthétique souvent luxueuse. Car cet art de la table, c’est surtout un art de vivre où se construisent les rituels d’une société française entre convivialité et ostentation.

Ce voyage chronologique se réalise d’un siècle à l’autre selon une scénographie où la table devient l’espace non seulement de linges, d’un mobilier ou d’une vaisselle mais aussi d’une représentation des relations sociales. Celles-ci se jouent entre les convives eux-mêmes d’une part, et de l’autre entre ceux-ci et le reste de la société. Maintes fois réécrite, la Cène demeure cette «scène» originelle du pouvoir ou de la trahison qui façonne la cohérence et l’histoire d’un groupe humain.

L’exposition n’est pas celle d’un musée de l’artisanat, elle est vivante, presque théâtrale. Les arts décoratifs révèlent alors des présences humaines fluctuant selon les âges au rythme des objets dont ils sont aussi la trace. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que la salle à manger apparaît dans la maison comme lieu collectif dévolu au repas. La table, par son organisation révèle alors toutes les strates d’une hiérarchie d’objets d’orfèvrerie, de flambeaux ou de luminaires pour des repas mondains ou des soupers fins. Sur trois siècles, les tables, parfois immenses, sont ici recomposées à l’identique, avec des porcelaines de Sèvre, des faïences et leur décor fastueux. En parallèle, des tableaux, des papiers peints ou des documents ressuscitent ces jeux mondains qui furent ceux des convives d’un repas sous le règne de Louis XIV ou bien ceux des passagers de première classe du Paquebot Normandie. Tout est là, le menu, l’apparat, les mets et la distribution des rôles.

La réussite d’une telle exposition tient à la vie qu’elle restitue aux choses du quotidien pour ceux qui purent jouir de cet «art de vivre à la française». Et les objets, par la richesse de leur exécution et leur variété nous parlent de ces hommes et femmes qui reviennent ici tels des fantômes pour dire un monde disparu dans le brouillard de nos fast food et d’une uniformisation sans âme.


lundi 20 décembre 2021

Yayoi GUNJI, "Mirror flower, Water moon"

 


Galerie Catherine Issert, St Paul de Vence

Jusqu’au 29 janvier 2022



D’emblée cette sensation troublante que cette peinture là, c’est elle qui nous regarde, qui nous absorbe dans la fluidité de ses formes et de ses couleurs. Et l’on comprend que ce n’est pas tant avec les yeux que cette peinture se construit mais plutôt par l’esprit et dans la souplesse du pinceau contrariée parfois par l’impact d’un point posé comme une tache ou par la sécheresse d’un trait: peut-être le souvenir de la calligraphie japonaise resurgit-il ici pour dévoiler les rudiments d’une écriture à l’origine de l’image.

Que nous raconte Yayoi Gunji sinon la trame d’un récit dont les éléments seraient encore disparates et dont l’essence même résiderait dans l’accomplissement de ce qui préside à ce morcellement? Les êtres, les fleurs, l’eau ou les arbres, tout est saisi dans une même fluidité pour une peinture qui reconstruit le monde sous le mode du silence et de la méditation. Le quotidien s’absorbe dans une rêverie vitreuse, les visages s’égarent dans un vertige de floraisons et d’objets solitaires tandis que des arbres labourent un ciel incertain. La peinture se dépose sur le papier ou la toile comme une buée sur laquelle la spontanéité du geste se confond à la lenteur de la décision qui le réalise.

Voici des paysages intérieurs avec des perspectives brouillées, des bouleversements d’échelles et toutes les incohérences qui disent le monde. L’artifice d’un bleu, d’un jaune ou d’un rouge. La fausse autorité d’une courbe ou d’une ligne. Ne reste que la couleur qui s’écoule ou se fige et alors le voile de brume qui enrobe la réalité se dissipe. La peinture saisit l’instant de cette éclaircie, ce soudain trait de lumière qui nous arrache de nos incertitudes et nous livre à la seule vérité du monde: sa beauté mise à nu et son mystère que seuls certains artistes savent exprimer dans le tremblement d’une révélation. Pénétrer dans l’univers de Yayoi Gunji c’est s’ouvrir les portes d’un paradis inquiet, par la grâce du trouble des sensations, dans les merveilles de la solitude humaine au milieu de ce foisonnement de l’univers. L’artiste parvient à rendre sensible la seule palpitation de l’image au moment de sa gestation. La peinture devient alors cet instant ou l’éphémère se marie à l’éternité.





samedi 11 décembre 2021

Fiona Rae, "Messagère aux diverses couleurs"

 La Malmaison, Cannes

Jusqu'au 24 avril 2022





Peindre la peinture. Au-delà du truisme, tel est l'enjeu de ces 37 œuvres que Fiona Rae présente à Cannes avec châssis et toiles dans l'alternance du noir et blanc ou l'effervescence de la couleur. Mais une peinture délivrée de l'image dont la présence n'affleure dans l’œuvre que par ses citations. L'artiste britannique, née à Hong Kong en 1963, fait partie de cette génération des « Young british artists » au côté par exemple de Damien Hirst. Elle reçoit le prix Turner en 1991 et devient académicienne de la Royal Academy et administratrice de la Tate Gallery.

De la peinture, elle ne retient que l'acte fondateur et son histoire. Délivrée de toute substance, l'objet du pop art se dissout alors dans la seule acidité de la couleur comme pour établir les frontières du bon goût et du kitsch. Les contours de l'image sont expurgés de toute narration pour libérer les relations du vide et de la figure sur l'espace arbitraire de la toile. La figuration se réduit alors aux seuls gestes méticuleux du jet de la brosse comme souvenir des débuts de Fiona Rae quand elle s'adonnait à l’expressionnisme abstrait. Rejetant désormais toute référence au corps, elle en relate ces seules traces formelles telles qu'on pouvait les voir chez De Kooning. Mais la spontanéité du geste est ici isolée par la précision radicale de sa représentation. De même retient-elle de l'abstraction la spiritualité des signes chez Kandinsky comme l'ébauche d'une écriture. Peintre de la citation, Fiona Rae parle en creux de l'accumulation d'images dans le monde contemporain. Mais seulement par l'indice des signes. Flèches, étoiles, plumes, tout évoque un envol ou un retrait pour traduire la seule présence de la pensée qui préside au tableau.

Par cet alphabet, la peinture diffuse les germes d'une écriture dans ses dernières œuvres à l'intérieur d'une  exposition qui retrace les mutations des travaux sur le gris, le noir et le blanc de 2014 jusqu'à l'outrance colorée, presque psychédélique, de sa production actuelle. Simple et lisible dans son apparence, les effets de séduction de cet art sont toutefois retenus par l'aspect énigmatique de ses références. Il y a là quelque chose qui tient de la féerie mais, quand elle cite Shakespeare, on pressent le versant glaçant d'un drame. La trame alterne ce qui brille et le cotonneux. Les paillettes se figent dans un vide sidéral comme le vestige d'un jeu vidéo réduit à l'inutilité de la fulgurance des gestes et des couleurs.

Le style de Fiona Rae ne s'apparente qu'à lui-même. Frivole ou intellectuel, d'une perfection telle qu'elle déporte la tension de la beauté jusqu'à la grimace, ce style met la peinture à nu. Il en demeure ce conte mystérieux qui raconte notre présent avec son vide parmi les symptômes  de l'histoire ou de nos illusions.





jeudi 2 décembre 2021

"Bruts et singuliers", L'art contemporain différent

 


Galerie Laurent & Laurent, Nice

Jusqu'au 15 janvier 2022

                                                  Frédéric Fenoll


Le singulier pluriel


Des multiples définitions de l'art, on n'en retiendra aucune. D'autant plus que les adjectifs qui s'y rattachent accentuent leurs contradictions pour un champ toujours plus vaste quand, de l'objet ou de l'attitude jusqu'à l’œuvre, ou bien du simple «regardeur» jusqu'à l'artiste, tout se fond dans l'énigme d'un seul mot: L'art. Moderne, singulier, brut, naïf...? Y a t-il un art contemporain différent comme le suggère le titre de l'exposition ou bien cet art contemporain se définirait-il justement par cette différence et son refus de toute définition préétablie? La mise en cause de la durabilité de l’œuvre, de son aura, de sa matérialité ou de sa valeur esthétique sont autant de critères pour «un état gazeux» pour reprendre l'expression d'Yves Michaud. Au contraire, les œuvres de l'art brut et singulier s'inscrivent dans une tradition moderne du sujet en marge de l'art officiel.

Si l'art contemporain se fonde sur la différence – à tel point qu'il peut paradoxalement se dissoudre dans l'impression du déjà vu – l'art singulier relève d'un même pléonasme par sa relation à l'art moderne où la singularité des formes est érigée en valeur suprême. Pourtant cet art «singulier», à la frontière de l'art brut, par son rejet des écoles, des académies et des discours institutionnels, accentue la position centrale du sujet à tel point que le corps et sa ritualisation, l'inconscient, la pulsion échappent aux failles de l'Histoire et se livrent à nu par l’intermédiaire de l'image. L'art singulier s’inscrit dans une thérapie par le biais de la figuration et de l'iconographie.

Dix artistes vagabondent autour de ce corps si peu singulier qu'il apparaît démembré, pris dans les rets de la nature, du rêve ou du cauchemar. Le corps est ici une excroissance du monde, un résidu du cosmos, une souffrance de la mise en question. Expression d'un cri ou d'un silence, il répugne à toute rationalité pour défricher les territoires de l'occultisme, du chamanisme et toutes les ondes qui le relient à l'univers. Contre l'art contemporain, l'art singulier méprise le poids de l'histoire mais plus encore, la légèreté de l'éphémère du temps présent et l'inconsistance de l'action. L'art singulier appose la marque indélébile d'une identité de l'artiste, comme une cicatrice, par l'originalité d'un style, le refus d'un discours communautaire et de son ancrage dans l'histoire de l'art.

De l'écriture automatique au surréalisme, de l'apport des arts primitifs ou de ses relations avec l'occultisme, les influences ne manquent pourtant pas pour cet art qui se veut marginal. Catherine Ursin parle de la violence de l'âme dans des visions traversées par le spiritualisme tandis que Frédéric Fenoll explore toujours des voies nouvelles. Autrefois peintre, hier dessinateur, il explore désormais cet entre-deux quand il se soustrait à ce tissage des fils de l'univers pour revenir à l'empreinte de ce corps qui l'organise. Des flaques de lumière boueuses en cernent les contours. Le corps est cette dérive visionnaire. Ailleurs les assemblages de bois flotté de Marc Bourlier évoquent des esprits surgis de la matière. Voyage dans l'espace et le temps, l'exposition se concentre sur des individualités qui revendiquent leur liberté de vivre l'art dans le seul défi de l'aventure. 

Avec: Mina Mond, Richard Di Rosa, Gene Mann, François Jauvion, Evelyne Postic, Marc Bourlier, Catherine Ursin, Serge Demin, Lou Le Cabellec, Frédéric Fenoll