jeudi 23 mai 2024

Exposition Franck Saïssi

 Espace Contemporary 21, Nice

Jusqu'au 6 juillet 2024



Franck Saïssi, «Le désordre du monde»


Qu’il peigne ou qu’il dessine, c’est toujours au cœur de l’orage que Franck Saîssi s’engouffre pour traduire nos doutes et nos désarrois face à l’étrangeté du monde. En saisir toute sa complexité, en dévider tous les fils qui nous relient à nos angoisses ou à nos aspirations, et voici que soudain le voile des apparences se déchire pour mettre à nu toutes ces histoires de pulsions, de folie, de désir ou de tristesse qui s’appellent la vie.

L’artiste capture les êtres, les architectures et les lieux à l’instant où la lumière se fait ténébreuse et que l’espace se désarticule. Le dessin devient alors cet écran sur lequel s’inscrivent les tremblements de cet invisible qui taraude notre regard quand celui-ci ne se heurte qu’à une réalité que nous peinons à déchiffrer. Franck Saïssi est cet artiste qui nous engage sur les chemins creux à l’aube des ruines ou des forêts inquiètes qu’il défriche en traits et en couleurs. Ici nul autre récit que cette exploration du monde dans ses perspectives vertigineuses avec la bave de la nuit et son empreinte sur le soleil.

L’art se confond aux méandres de la poésie quand sur des feuilles de livres ou des cartes, il dessine l’encre de la nuit sur une autre image comme pour extirper de celle-ci de nouvelles visions pour élucider les mystères du chaos et de l’émerveillement. Quand il peint, la couleur se décompose en des gammes inquiètes sur une seule et même tonalité et le gras des taches se confronte aux traits nerveux qui balafrent l’ensemble de la composition. De ce désordre apparent, une beauté trouble surgit comme si du terreau de nos terreurs un autre monde se recomposait et que c’est en celui-ci que l’art se pensait, se justifiait et se révélait à nous. L’artiste tire sans fin sur les cordes d’une musique sèche pour extraire les notes d’une mélodie sombre qui aspire à la lumière. Et de l’ombre qu’elle accorde, de nouvelles bourrasques de sens se chevauchent pour faire surgir l’ébauche de nouvelles images.

Ainsi l’œuvre, par son labyrinthe et ses effets de dévoilement, procède-t-elle, pas à pas, dans son aventure entre fulgurations, cris, éclairs ou silences là où l’on ne perçoit que les décors vides de l’existence, les fantômes qui nous hantent et les visages hallucinés qui traversent nos mémoires. Franck Saïssi dans ses vastes toiles fiévreuses comme irradiées d’un sang éteint ou de larmes sèches nous entraîne sur les chemins dangereux de la poésie avec ses aspérités plantées dans le ciel et ses gouffres ouverts à la beauté. A chacun de les explorer pour y grandir et les aimer.

lundi 13 mai 2024

Charlotte Pringuey Cessac, «Battre l’oubli – Bruit originaire (Acte IV)»


Galerie Eva Vautier, Nice

Jusqu’au 15 juin 2024



Il est des œuvres à peine murmurées qui traversent le temps comme un souffle que rien ne retient. D’elles, on ne se souviendra que de la cendre des mots, que d’une lacération furtive dans un ciel vide ou un vague parfum d’herbe séchée que l’on caresse du bout des yeux de peur de l’ éteindre. «Battre l’oubli» et ses battements de cœur, inscrire ceux-ci dans la fragilité des jours, tel est ce récit tout en nuances et délicatesse que diffuse l’œuvre de Charlotte Pringuey Cessac. L’autobiographie trop souvent souffre du poids des mots dans le miroir de sa vanité ou de ses peines. Alors mieux vaut recueillir avec recueillement l’invisible des larmes, la trace d’un signe et la qualité d’un silence plutôt que l’indice d’un moment.

C’est bien dans cet effleurement que réside la grâce de ces objets diffus, papiers dans une pâte végétale et des mots à peine imprimés ou bien des mouchoirs de grès ou de porcelaine et encore des tissus comme mémoire de la trace. L’artiste se greffe à la pulsation des jours, à la rosée des larmes et à l’oubli aussi léger que la chute des feuilles. Il lui faut alors revenir à la source, retrouver au seuil même de la préhistoire les indices d’un témoignage, l’ocre des murs, l’hypothèse d’une image et certainement l’écho d’un bruit originaire. Charlotte Pringuey Cessac restitue les poussières de celui-ci pour les traduire en objets émouvants et les charger d’un langage plastique que nous interprétons au gré des indices qu’elle répand. Les objets sont légers et implorent le toucher dans la trace de la sensualité d’où ils émergent. L’émotion est ici une matière qui se lie à l’éphémère, à l’éloignement et à l’oubli. Alors autant s’y laisser entraîner, s’envoler sur des chemins improbables et vivre en glanant ci et là les débris du cœur.

Dans ce terrain de vague à l’âme, sentiments, objets et idées se confondent dans des brides d’écriture et de plis que le vent emporte. Quelques fragments d’épaves, des morceaux de rien et de douceur et l’art est ce petit soleil qui perce la brume.



Julien des Montiers, « Dessus/Dessous »

 


Suquet des Artistes, Cannes

Jusqu’au 22 septembre 2024



Une aventure dans le corps de la peinture


C’est à une exploration de la peinture elle-même que nous convie Julien des Montiers à travers 45 œuvres somptueuses bien au-delà de la réflexion théorique qu’elles supposent. S’il s’attache à en dévoiler les mécanismes, c’est toujours à travers le travail sur une matière vivante et tumultueuse que l’artiste traque l’image. Dans ses tours et détours, elle circule dans les méandres de l’histoire de l’art pour en faire jaillir les ombres et les lumières, les signes et les figures toujours saisis dans l’hésitation de l’abstraction et de la figuration.

Rien d’aride dans cette œuvre très diverse par la multiplicité des supports - toile, tapisserie et même le sol. A partir d’un signe arbitraire et neutre, l’artiste fait subir à l’idée de représentation un traitement qui révèle l’impensé de la peinture: Celle-ci est ici une peau que le peintre arrache ou recouvre dans un processus d’extraction de l’image à partir de strates opposées. Des damiers de cubes cinétiques se trouvent recouverts par des figures d’animaux fabuleux ou d’images populaires telles celles de Fantomas. Toujours dans un même protocole répétitif où le pinceau n’est plus à l’origine de l’œuvre, Julien des Montiers s’attaque au corps d’une peinture à coup de spatules pour en extraire la sève. Le fond géométrique se dispute alors à l’intensité expressive et la revendication de l’idée se confronte à la séduction ornementale. Avant que la matière ne sèche, le peintre la creuse, l’arrache ou la façonne pour y faire adhérer une image préalablement calquée sur du plexiglas. Tout un processus se réalise depuis ce transfert de l’empreinte jusqu’à ce que la figure surgisse et, parfois hors du cadre, dans l’épaisseur même du mur entrouvert. Elle se transforme alors en cheval ou en licorne à moins qu’elle ne se dissolve dans une abstraction tellurique où le sang de la couleur se dispute à la chair de l’huile quand celle-ci se fige et s’épaissit.

De cette aventure d’une lutte entre le dedans et le dehors, l’image ne dit pas ce qu’elle est et n’est pas ce qu’elle dit. A nous de la traquer au-delà de l’artifice merveilleux de la couleur qui imprègne les griffures balafrant telle figure ou dans l’explosion du rouge ou du bleu dans l’épaisseur de la nuit. «La terre est bleue comme une orange», écrivait Paul Eluard et, comme le poète, le peintre transgresse le réel par le jet sidéral des couleurs complémentaires et la peinture nous ouvre alors à d’autres mondes qui déchirent les apparences. Julien des Montiers en dévoile la trame. Le bleu et l’orange bouleversent l’espace et la peinture irrigue notre univers de sa magie avant qu’il ne se peuple de ces créatures réelles ou imaginaires issues de siècles d’art et de fiction. Mais ce que cette œuvre incandescente proclame c’est la vitalité d’une peinture toujours à recommencer.