dimanche 25 octobre 2020

Eric Duyckaerts : Funambule élémentaire



L'espace à vendre, Nice

Jusqu'au 4 décembre 2020


Dans le cadre de Manifesta 13


Disparu en 2019, l’artiste belge Eric Duyckaerts fut ce funambule qui marche sur le fil de la raison avec l'obsession du pas de travers, du pas de côté qu'il n'a cessé pourtant de pratiquer. De même fut il celui de « l'élémentaire », de l'essentiel, de la chose avant que l'idée ne l'absorbe. Comme en son temps le fit le poète Francis Ponge, il assura à l'objet le plus trivial la profondeur d'un sens que la pensée ne saurait seule lui accorder. Philosophe et juriste, il fut alors cet artiste qui traqua toutes les apories et les creux du langage là où l'absurdité se logeait au cœur même de la logique.

Lors de ses conférences performées, dans ses vidéos, ses installations et ses sérigraphies, par sa gestuelle, ses déplacements burlesques et une voix professorale, il évoquait cette « autre chose » conceptuellement réelle mais qui défiait pourtant l'ordre de la langue. Ainsi une main à six doigts devenait-elle le propos d'une recherche scientifique avec conférences, dessins lardés de remarques et d'hypothèses où le sérieux s'indifférenciait de l'absurde. Cette dualité est le fil de cette exposition quand l'artiste parle dans ses vidéos comme dans un miroir, quand sur de grands formats il oppose la monochromie à des caisses démembrées, quand, dans des sérigraphies pastellisées, il montre des entrelacs de nœuds en parfaite symétrie, dans une logique apparente et pourtant de l'ordre de l'impossible.

Eric Duyckaerts est un saltimbanque de l'art et de la philosophie. Tour à tour Buster Keaton et scientifique fou, il joint le geste à la parole mais quand il parasite la chaîne discursive du langage, on ne saura jamais où se trouve la faille du raisonnement, le virus lexical qui s'est emparé de son logiciel. L'image demeure pourtant le constat à la fois tragique et burlesque de cette expérience. Il faut se soumettre à cet art là : on y pense l'interaction de nos doutes et de nos certitudes, l'ennui des choses vues et des poncifs contre cette autre monde, cette autre pensée tapie en nous-mêmes. L’œuvre d'Eric Duyckaerts est somme toute très flaubertienne par son humour sarcastique contre les idées reçues mais il y a aussi du Alfred Jarry et tous les autres qui nous rappellent en littérature comme en art que, dans la lourde machinerie sociale, le grain de sable du rire est le meilleur antidote contre la bêtise.




 

samedi 24 octobre 2020

Pietro Ruffo, « La politique des étoiles »

 


NM Contemporary, Monaco

Jusqu'au 24 novembre 2020


De l'infiniment grand à l'infiniment petit, la perception comme la conception du monde résultent toujours d'une exploration. Tout artiste est un voyageur errant parmi les formes mouvantes de l'univers et du vivant. Que deviennent alors les frontières mentales ou géographiques quand il s'agit pour lui de se mesurer à l'humain qui les conçoit et dont le projet politique est de leur donner sens et forme ? L'artiste italien, Piero Ruffo, nous invite à un voyage passionnant dans cet univers, entre espace, temps et mythologie, pour explorer cette capillarité entre le visible, l'imprégnation culturelle et l'imaginaire.

Un tel parcours impose grandeur et humilité et, pour le représenter, il faut recourir à une œuvre multiple - assemblages, dessins et lacérations - qui puisse dire l'homme dans sa solitude comme dans son universalité. C'est à dire dans sa fusion avec l'autre, l'animal, le végétal et la danse des constellations. Piero Ruffo manie le dessin avec minutie. Le temps se regarde alors, il s'organise ou se décompose dans la durée des gestes méticuleux qui s'exercent dans la découpe des signes astraux, des animaux ou des humains se déployant à travers les strates de l'histoire comme signes annonciateurs de nos lendemains. L'artiste utilise des archétypes pour parler l'universel. Les œuvres présentées multiplient les supports, papier millimétré, tapisserie ou couvertures de survie. Les frontières se dissolvent alors pour un chant cosmique où l'homme se désigne dans sa fragilité comme dans sa toute puissance.

Tout n'est qu'histoire de déplacement et de migrations. Celles des espèces ou des hommes pour mettre en péril le concept même de reproduction et de mimétisme. Quand tout n'est que passage et transformation qu'en est-il de nos moyens d'agir, de penser le social et le politique ? L'artiste parvient à capter avec virtuosité cette fusion de l'ombre et de la lumière, de la ligne ou de la figure avec l'indicible. La volonté se mesure à l'aune de l'incertitude. La cartographie devient ici un repère constant pour ce constat sur un monde déboussolé. Piero Ruffo dessine des perspectives, il suggère des traces, il creuse littéralement le fond et la forme. La poésie réside dans la gestation des figures comme un impossible. La politique est bien une vision d'avenir quand elle se raccroche aux étoiles.


lundi 19 octobre 2020

Ana Maria Hernando, La Napoule Art Foundation 

 



La Napoule Art Foundation ,

 Mandelieu La Napoule


D'origine argentine, Ana Maria Hernando s'est installée en 1986 au Colorado sans pour autant renier les cultures de l'Amérique latine, particulièrement en relation avec l'artisanat et le travail traditionnel des femmes dans  le tissage, le maniement des étoffes et le chatoiement des couleurs. Pourtant cette relation si intime avec les rites du quotidien ne s'exprime dans l’œuvre de l'artiste que par le biais de la nature qui, toujours, la traverse de façon allusive et sensuelle. C'est ainsi que dans le château et ses jardins, se déploient des installations entre nuages, vagues et fleurs qui s'offrent pourtant comme de vastes décors où se déclinent la légèreté des tulles et la douceur des teintes malgré la force monumentale de ces compositions.

Séduisante, l’œuvre reste pourtant ambiguë; elle distille une étrange inquiétude pour ce qu'elle diffuse de rêve, de beauté ou de douceur. Elle impose l'idée d' un dévoilement, comme une incitation à extraire du regard nos conventions et de déjouer les pièges du visible. Ces installations complexes, tout en nœuds et en coulées de textiles aux teintes artificielles, évoquent la nature tout en la niant et l'artiste parvient ainsi à construire une dramaturgie subtile dans une poésie toute en nuances et dans un clair obscur où la violence de la couleur s'éteint pour célébrer le silence des ombres. L’œuvre d'Ana Maria Hernando se développe dans une brume colorée, dans la légèreté des transparences mais ne se départit pourtant jamais de l'écho spectral qui résonne douloureusement dans cette vaste symphonie baroque qu'elle parvient à créer. La puissance émotionnelle de ses installations fragiles d’étoffes et de gazes avec ces agencements de pétales fanés se diffuse dans l'architecture du lieu comme si l'artiste avait voulu en déchirer l'enveloppe. En résidence dans le château, elle a contrarié l'aspect fortement minéral de celui-ci tout en développant les effluves de son style néo-médiéval. Parfum romantique ou fleurs du mal vénéneuses, on ne sait ce qui s'empare de nous quand nous voguons ainsi dans ces plis qui se heurtent à la pierre. Qu'importe pour peu qu'on s’abandonne aux appels invisibles de la poésie.






lundi 12 octobre 2020

LES AMAZONES DU POP

 

                                                                              Evelyne Axell


she-bam pow pop wizz

MAMAC, Nice

Jusqu'au 28 mars 2021


Quoi de plus percutant que ce « sham-bam pox pop wiz » emprunté à Gainsbourg et chanté par Brigitte Bardot pour mettre en lumière et en images ces Amazones du Pop Art que célèbre le MAMAC pour son 30e anniversaire ? Et ce sont bien des flashs lumineux et des couleurs arc en ciel qui rythment les œuvres de la trentaine d'artistes femmes souvent ignorées dans l'histoire de cette folle énergie des sixties. C'est justement Brigitte Bardot qui inaugure ce parcours suivi de Jane Fonda, la première s'illustrant plus tard par la défense de la cause animale tandis que la seconde s'engagera pour la défense des minorités. Car les années 60 sont celles du rythme, des utopies politiques et d'une volonté de libération. Et avec les artistes du pop on a célébré le « meilleur des mondes », celui du consumérisme, de la publicité, du spectacle à outrance tandis que parallèlement ceux du Nouveau réalisme s’attaquaient avec colère aux déchets de cette société. Les paradis aux belles découpes colorées des artistes pop ne préfigurent-t-il pas la fiction d'Aldous Huxley ? Et le désir féminin qui s'affiche parfois ici peut-il s'accorder au désir du Coca cola ?

L'exposition est passionnante en ce qu'elle dit de ce mouvement artistique quand la seule parole masculine était audible et nous découvrons pourtant nombre d'artistes femmes qui, telles quelles, s'engagèrent dans un discours sur la féminité.

En 1957, le peintre Motherwell refusa que Idelle Weber participât à ses cours au prétexte que, désirant enfants et mari, elle ne pourrait devenir artiste. Malheureusement absente de cette exposition, celle-ci devint pourtant, avec ses silhouettes sombres, son esthétique plate et sa représentation des codifications sociales dans le monde du travail, l'une des représentantes les plus originales de cette mouvance. Cependant les principales artistes du pop art sont ici présentes avec leur authentique virulence et le parcours, très diversifié, s'organise autour des thématiques issues des mass média, les comics, la science fiction, l’érotisme avec Evelyne Axell ou Dorothy Iannone, les héros de pacotille ou les servitudes quotidienne chez Martha Rosler. Quelques artistes, plus en marge du pop art comme Lourdes Castro, Louise Nevelson, Judy Chicago ou Niki de Saint-Phalle nous permettent de mieux comprendre l’ambiguïté d'un moment artistique où, par surcharge du décoratif, on célébra parfois ce que l'on dénonçait. Elles permettent aussi de faire le lien avec le courant du Nouveau Réalisme. Le point de vue féminin apporte ici sans nulle doute un engagement plus direct et permet de mieux comprendre l'aventure du pop art. Espérons que l'exposition permettra à certaines artistes d'accéder enfin au fameux moment de célébrité  promis par Andy Wahrol !