vendredi 26 juin 2020

Jean Yves Cousseau, « Pas perdus »



Galerie Depardieu, Nice
Jusqu'au 1er août 2020


Quand le titre suggère de multiples interprétations tout en désignant une direction pour un territoire informel, l'on devine que l’œuvre oscillera dans une démarche errante, vers un environnement poétique. Ce titre donc, « Pas perdus », nous transporte ainsi au cœur du réel quand l'idée de temps définit un espace particulier, à rebours de toute narration, et que la visibilité de ce réel est mise en péril par l'énergie du microcosme. C'est par lui que les images de Jean Yves Cousseau se départissent de leur origine photographique pour brouiller nos repères, inscrire les traces du temps contre l'instantanéité du cliché. Elles se nourrissent d'une multitude de procédés pour inscrire la trame de l'apparition et de la disparition : effets d’oxydation ou bien photographies livrées à l'eau, à la moisissure ou à d'autres contraintes pour des effets moirés, sombres ou lumineux. Une alchimie par laquelle le réel revient par fragments, coupes sèches et séquence brisées.
Le photographe, qui est aussi vidéaste et concepteur de nombreuses publications, propose ici une écriture qui n'est pas sans rappeler l'écriture filmique prônée par Guy Debord. Celui qui écrivait : « Les tromperies dominantes de l'époque sont en passe de faire oublier que la vérité peut se voir aussi dans les images ». Or c'est bien ici une allusion précise au théoricien de l'Internationale Situationniste puisque l'ouvrage comme l'exposition, prennent leur source dans les rencontres et les correspondances échangées entre les deux hommes. Guy Debord lui avait rédigé une liste de 63 auteurs du passé et, sur ce fil aussi bien biographique qu'autobiographique, Jean Yves Cousseau imagina cette écriture photographique morcelée pour dire des éclairs de corps ou d'espace, des murmures, des hypothèses et des cris. Voici donc en images, le style flamboyant de Debord avec ses citations, ses détours et sa fulgurance. A la page 60 de « Panégyrique, tome premier » de Guy Debord, ce simple paragraphe : « La maison paraissait s'ouvrir directement sur la Voie Lactée. La nuit, les proches étoiles, qui un moment étaient intensément brillantes, le moment d'après pouvaient être éteintes par le passage d'une brume légère. Ainsi nos conversations et nos fêtes, et nos rencontres, et nos passions tenaces. » Clignotement des signes, passage au noir.


jeudi 25 juin 2020

« Images d'utopie », Gilbert & Georges



Musée national Fernand LégerJusqu'au 16 novembre 2020



La rigidité notariale, le costume cravaté et les lèvres pincées, tout dans le duo Gilbert et Georges renvoie à cet écart entre l'image et la réalité, le stéréotype et l'identité, l'art et la vie. Or, comme ils le proclament, « L'art c'est la vie ». Aussi s'agit-il de faire coïncider ces éléments disparates, de juxtaposer l'ordre et le chaos, le sérieux et le dérisoire, l'engagement politique et social quand il se confronte à la plénitude d'un idéal. « Images d’utopie » tel est alors le titre de cette exposition du Musée National Fernand Léger qui met en parallèle l’œuvre du peintre, « Les constructeurs », et le triptyque du couple britannique « Class war, Militant, Gateway » réalisé en 1986 et confié par la Fondation Louis Vuitton.
L’œuvre monumentale de Léger obéit à une structuration rigoureuse à partir du contraste entre des aplats de couleurs franches et le dessin cerné de noir. Elle est surtout l'emblème de l'engagement de l'artiste en 1950 pour la cause des travailleurs. Pourtant, elle ne sera pas accueillie favorablement par ceux-ci tant elle déroge aux canons du « réalisme socialiste » qui prévalait alors. Mais peut-on jamais allier le réel et l'idéal ? C'est à ce défi que répondent ici, avec des des coïncidences certaines avec les compositions de Fernand Léger, Gilbert et Georges. Mais par une outrance ironique qui n'est pas dénuée d'autodérision.
Dans l'obscurité d'une salle revêtue de noir, les trois immenses photo-montages présentés jaillissent comme des vitraux. La couleur rouge coule avec violence mais l'ensemble est massivement structuré telle une image de propagande. L'iconographie du réalisme socialiste est reprise jusqu'à sa caricature et les prolétaires de Gilbert et Georges sont aussi de facétieux éphèbes. L'engagement des artistes est pourtant sincère et d'ailleurs déclarent-ils : « Nous savons que nous ne pouvons pas atteindre l'utopie, néanmoins nous essayons chaque jour ». Ainsi n'est ce pas tant le résultat qui importe que le chemin que l'on emprunte pour espérer l’atteindre. A la croisée du conceptuel, du pop-art et de la performance, le couple d'artistes défie toutes les conventions dans de rieuses allégories héroïques où le sacrilège se mêle au sacré. Les thèmes sociaux sont revendiqués et scandés à partir de motifs symétriques et de répétitions où s'incrustent physiquement les artistes. L’œuvre est puissante, elle impose d'emblée le corps comme incarnation d'une volonté et de la liberté. Et l'utopie n'est alors jamais vaine, il suffit d'avancer vers elle.

lundi 15 juin 2020

Agnès Jennepin, "Les effrontées"

Galerie Depardieu, Nice
Jusqu'au 1 août 2020


                                     
                               Le regard s'est emparé du noir et blanc du visage. Son socle sera celui de la couleur du vêtement à laquelle il lui sera à jamais étranger. Un corsage joyeux pour exprimer les palpitations et les rituels d'un monde auquel elle reste absente. Car ce regard, dans sa fixité vide, est figé sur lui-même comme se mirant ou se heurtant à une paroi de glace. Si Narcisse se contemple, au contraire "l'effrontée" incarne cette tension comme un  désir impérieux de percer cette bulle d'opacité qui l'exclut d'un monde auquel elle se confronte pourtant dans l'orgueil de ce clair obscur grisâtre. Vie et mort se confondent lorsqu'elles apparaissent sans objet: La fixité d'un regard méprise le fil du temps, son royaume est l'éternité. De même que l'espace lui est indifférent. Le regard ne cible rien d'autre qu'un point indéfini: L'infini?
                                          La force des images d'Agnès Jennepin c'est d'arracher le portrait à toute psychologie, de l'extraire de son histoire et à toute temporalité pour converger vers les racines du désir. Une métaphysique du corps s'ébauche alors dans le défi d'un regard, dans cette solitude glorieuse et la certitude d'être. Mais comment être quand le monde se dérobe à soi? Ou bien est-il si vide qu'il faut briser son écorce de verre et peut-être alors s'ouvrira-t-il au-delà des apparences.
                                               Car c'est aussi de peinture que parle Agnès Jennepin: Aux apparences, elle oppose le gouffre d'un regard, sa force et sa face nocturne qui s'impose au nôtre. Dans ce face à face, que voyons-nous si ce n'est cette même puissance de la peinture pour dire ce que nous sommes et l'énergie contenue dans tous ces rêves muets qui ne cessent d'ensemencer nos vies?

jeudi 11 juin 2020

Nagham Hodaifa



Hôtel Windsor, Nice



Voici un lieu qui ne peut laisser indifférent : Des chambres décorées par des artistes, un hall qui accueille régulièrement de nouvelles créations et le chant des oiseaux dans un jardin extraordinaire. Mais vint à circuler un mauvais virus jusqu'au confinement dans un hôtel désert. C'est là que Nagham Hodaifa, d'origine syrienne, venait de s'installer pour une résidence d'artiste qui s'achève maintenant. L'expérience de la solitude dans un dédale de pièces chargées de récits, de concepts, de lumières et d'ombres avec les voix lointaines de Morellet, Raymond Hains, Philippe Perrin, Viallat, Le Gac, Ben et tant d'autres... La prégnance du lieu et le silence des fantômes ne pouvaient qu'entrer en résonance avec l'univers personnel de Nagham Hodaifa.
Celle-ci souhaitait s'emplir de sa nostalgie de la Méditerranée mais aussi de la réalité de ses drames. et voici que cette Méditerranée lui était interdite. Ne lui restait plus que le bruissement proche des vagues au rythme de son imaginaire. C'est donc là qu'elle élabora cette œuvre subtile tant les effets de transparence sont déjoués par la violence sourde et tragique qu'elle recouvre. La peinture est ce flot rythmé par le souvenir de la danse, de la gestuelle du corps comme source de l'acte créateur. Pourtant la présence du corps n'apparaît jamais ici dans sa réalité mais seulement par le miroir de son enveloppe immergée qui se décline par fragments. Sur des polyptyques de grand format, des mains, des pieds, des indices de corps réduits à ce qui les recouvrait comme le cri éteint des milliers de disparus au fond de la mer. Les flots se dessinent alors dans le drapé d'un linceul et de ses déchirures. Un bleu superbe s'empare de formes organiques et visqueuses, la mer s'étire dans l'huile de la peinture pour dire le silence des profondeurs, le recueillement qu'il impose. Maudire la beauté écorchée par les hommes mais la proclamer encore. « Le dire avec des gants » puisque que c'est aussi avec ceux-ci qu'elle travaille. Mais aussi pour murmurer autrement, prudemment, mais sans concession aucune. Ou bien comme quand « on jette le gant » par défi, et qu'on se dévoile dans la peinture, qu'on plonge dans ses fonds mystérieux d'où remonte à la surface comme l'écho d'un champ funèbre. Pourtant les toiles ou les autres supports de Nagham Hodaifa s'imprègnent de légèreté. Les formes qu'elle convoque sont vivantes, fœtales et semblent en attente dans un océan amniotique dans l'espérance d'une vie future. L’œuvre se déploie, musicale, dans cette lumière incertaine saisie au cœur de l'émotion.




dimanche 7 juin 2020

« Les années joyeuses, Jean Ferrero § friends »



Musée Masséna, Nice
A partir du 7 juin 2020



Les 30 glorieuses rimaient avec les « années joyeuses ». Elles resurgissent en ces temps de délabrement comme une percée de lumière par cette liberté folle dont avions oublié l'écho. Commence alors, au lendemain de la guerre, une course effrénée à la consommation et au spectaculaire dont les Nouveaux réalistes s'emparent avec dérision, en lacérant les affiches ou en compressant les objets. Jean Ferrero, né en 1931, est ce personnage atypique, autodidacte, haltérophile, modèle nu, photographe ou chauffeur de camion qui se mit à collectionner à Nice - là où l'aventure commence - tous ses amis artistes à tel point qu'il commença à vendre des œuvres et qu'il devint, par la suite, le galeriste qui exposa César, Armand Malaval, Ben et de tous ces précurseurs qui accédèrent à la renommée internationale. Sans oublier Venet, Gilli, Moya et bien d'autres artistes.

L'exposition relate cette histoire folle, débordant d'énergie et d'insolence, où la dérision est de mise et qui permit à l'art de s'élargir vers de nouveaux horizons. L'art n'est plus seulement objet de contemplation, il est action, il est une fête dans le quotidien, il descend dans la rue. C'est ce bric à brac qui est ici mis en scène. L’œuvre se confond à d'autres objets entre art brut et cabinet de curiosités. Des photographies relatent ces événements, de la brocante qui rebondit sur des statuettes de l'art primitif comme aussi les accumulations d'Arman ou les compressions de César. On rit, on s'étonne, on s'émerveille de cet univers hétéroclite quand provocation ou blasphème nous emportent dans un tourbillon de formes et de couleurs. La liberté est sans limite et l'art est à ce prix. Et la fête et le rire conjurent les lendemains de guerre. A l'issue de ce délitement sanitaire, politique et social qui vient d’apparaître dans sa crudité obscène, voici une leçon de vie dont les artistes d'aujourd'hui devraient s'emparer pour cicatriser les plaies du présent.