Musée national Fernand LégerJusqu'au 16 novembre 2020
La rigidité notariale, le
costume cravaté et les lèvres pincées, tout dans le duo Gilbert et
Georges renvoie à cet écart entre l'image et la réalité, le
stéréotype et l'identité, l'art et la vie. Or, comme ils le
proclament, « L'art c'est la vie ». Aussi s'agit-il de
faire coïncider ces éléments disparates, de juxtaposer l'ordre et
le chaos, le sérieux et le dérisoire, l'engagement politique et
social quand il se confronte à la plénitude d'un idéal. « Images
d’utopie » tel est alors le titre de cette exposition du
Musée National Fernand Léger qui met en parallèle l’œuvre du
peintre, « Les constructeurs », et le triptyque du couple
britannique « Class war, Militant, Gateway » réalisé en
1986 et confié par la Fondation Louis Vuitton.
L’œuvre monumentale de Léger
obéit à une structuration rigoureuse à partir du contraste entre
des aplats de couleurs franches et le dessin cerné de noir. Elle est
surtout l'emblème de l'engagement de l'artiste en 1950 pour la cause
des travailleurs. Pourtant, elle ne sera pas accueillie favorablement
par ceux-ci tant elle déroge aux canons du « réalisme
socialiste » qui prévalait alors. Mais peut-on jamais allier
le réel et l'idéal ? C'est à ce défi que répondent ici,
avec des des coïncidences certaines avec les compositions de Fernand
Léger, Gilbert et Georges. Mais par une outrance ironique qui
n'est pas dénuée d'autodérision.
Dans l'obscurité d'une salle
revêtue de noir, les trois immenses photo-montages présentés
jaillissent comme des vitraux. La couleur rouge coule avec violence
mais l'ensemble est massivement structuré telle une image de
propagande. L'iconographie du réalisme socialiste est reprise
jusqu'à sa caricature et les prolétaires de Gilbert et Georges sont
aussi de facétieux éphèbes. L'engagement des artistes est pourtant
sincère et d'ailleurs déclarent-ils : « Nous savons que
nous ne pouvons pas atteindre l'utopie, néanmoins nous essayons
chaque jour ». Ainsi n'est ce pas tant le résultat qui importe
que le chemin que l'on emprunte pour espérer l’atteindre. A la
croisée du conceptuel, du pop-art et de la performance, le couple
d'artistes défie toutes les conventions dans de rieuses allégories
héroïques où le sacrilège se mêle au sacré. Les thèmes sociaux
sont revendiqués et scandés à partir de motifs symétriques et de
répétitions où s'incrustent physiquement les artistes. L’œuvre
est puissante, elle impose d'emblée le corps comme incarnation d'une
volonté et de la liberté. Et l'utopie n'est alors jamais vaine, il
suffit d'avancer vers elle.
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