Pôle culturel Chabran, Draguignan
Dans le cadre de l’Été contemporain de Draguignan, Anne Gérard
expose ses dessins colorés sur papier. Mais déjà ces derniers mots
se révèlent-ils maladroits quand il faudrait plutôt dire
« colorisés » comme pour un ancien film en noir et
blanc,. Et "peinture" plutôt que dessin. Et s'interroger sur la validité du
support: mais l'artiste joue de ces incertitudes comme si, de ce
trouble, une forme de récit advenait.
Or, dans ce récit incertain, deux séries se télescopent tant leurs
références divergent. D'une part, des cadrages austères
d'intérieurs bourgeois qui feraient penser à Vuillard et, de
l'autre, un ensemble de grand formats autour du thème de la bouée.
Mais à y regarder de plus près, les deux récits se contaminent
mutuellement ; l'un corrige l'autre à moins qu'il ne suscite
l'idée d'un autre espace, mental celui-là, appartenant aussi bien à
celui qui contemple, qui imagine, qui oscille d'un rivage à l'autre
entre deux eaux pour une autre narration construite sur ce décalage
entre ce que dit l'image et ce qu'elle suscite. Deux univers opposés
donc pour nous convier à ne pas lire l’image telle qu'elle
s'énonce mais plutôt à l'interpréter dans son rapport avec ces
autres images qui l'interrogent et agissent sur elle par effet
d'effacement et de recouvrement.
Les dessins d'intérieurs sont serrés, étouffants, vides de toute
présence humaine. Les objets ne sont ici que des traces échouées, des
tableaux asséchés, vidés de leur sang et de leur fièvre. Le
dessin joue toujours la perfection mais on le devine tremblé, poncé,
érodé, et les quelques jus de couleur révèlent des zones d'ombre
plutôt qu'ils n'illuminent le décor. Anne Gérard dessine ce
trouble à la perfection comme elle sait peindre cet au-delà de la
peinture de genre quand celle-ci n'agit plus qu'en tant que mémoire
et symptôme d'un art disparu et pourtant obsédant. Et dans ce cadre
tellement convenu que nous ne savons plus vraiment le voir,
d’étranges indices en menacent l' équilibre ; l'encre est
mauvaise, la couleur saturée et malade.
L'image de la bouée dans un espace plus ouvert, dans son
extériorité libératrice, parviendra-t-elle à nous sauver de ce
monde-là ? Les œuvres, vastes et fluides, enfin respirent,
s'écoulent jusqu'au sol. Le dessin maintient cette perfection dans
la saisie du réel mais celui-ci est pourtant contrarié par des
points de vue déroutants qui sèment le doute sur l 'identité de
l'objet. Tour à tour forme et métaphore, la bouée devient un
indice flottant, une indécision qui, là encore, malmène l'image
vouée à s'échouer sur des rivages exsangues.
Anne Gérard sait disséminer des traces, cacher les indices,
contrarier les objets de telle sorte que jamais l'image ne saurait
être le miroir du monde. Au contraire, celle-ci est-elle le
témoignage de son négatif. Elle est une ombre portée par un
rythme qui, ça et là, étincelle ou bien encore, par cette ligne de
flottaison, ce flottement du sens qui s'en empare. Il y a ici toute
la poésie d'une Odyssée avec ses antres ténébreux, les flux de la
mer, les naufrages et tous ces débris du désir qu'il faut imaginer
comme des mots que la peinture parviendrait à révéler.
Michel Gathier
Michel Gathier
Du 29 juillet au 16 septembre 2017