mardi 26 avril 2016

Frédéric Ballester "Lumière des songes"

                    Villa Cameline, Nice



                      Quel autre lieu aurait pu mieux accueillir l’œuvre de Frédéric Ballester que la villa Cameline ? L’artiste s’en saisit avec jubilation et gravité. Architecte, il en explore les fondations, les angles tordus, l'environnement  et les lignes. Peintre, il en médite les couleurs, les matières et les reliefs secrets. Écrivain aussi, il sait  faire parler les stucs, les lézardes, les murs défraîchis par le temps.

                     Irrigué de ses fractures en lesquelles résonne un passé qu’on devine romanesque, l’artiste pénètre cet espace, se l’approprie, nous conduit dans le dédale de ses cicatrices d’où s’extraient des fantômes qu’on imagine, qu’on invoque. Car si l’artiste confronte des photographies de détails architecturaux ou décoratifs avec la transparence de la couleur, c’est surtout une histoire qui se dessine pour des présences diffuses qui se disputent à l’abandon. D’une œuvre à l’autre, une mémoire se crée ou bien se reconstruit et l’artiste s’en imprègne autant qu’il la fait sienne. Il en saisit les pulsations, la syntaxe, tout ce qui se donne pour récit avant même toute énonciation. Le mystère, le charme douloureux, le jet de couleur juxtaposé à la réalité photographique signent en creux les germes d’une fiction où l’ombre se dispute à la lumière. Ou bien s’agirait-il aussi de l’artiste qui s’incorpore à un lieu qui devient temps quand l’émotion suinte de toute part dans le silence de l’œuvre ?


                   La relation au passé s’établit également par la présence de travaux anciens imprégnés par l’influence de Support Surface. Les rapports de construction et de déconstruction, la mise à nu de la peinture et de ses constituants comme sa relation à l’espace, renforcent cet itinéraire biographique qui se donne pour fiction. Ici l’économie brute du matériau, les lignes incisives,  se heurtent à une certaine dramatisation de la couleur. On y lit encore ce tracé, cette ligne de vie d’un artiste qui tient son horizon, l’habite et parvient à le faire vivre sans s’abandonner à de seules préoccupations plastiques. Toujours puissante et sincère, l'oeuvre, avec splendeur, circule dans chaque recoin de la villa. Dans un tel silence qu'on aurait peur qu'elle se réveille. Paradoxe?




dimanche 24 avril 2016

Gérald Thupinier

Galerie Depardieu, Nice


                 


                         Pris dans sa totalité, qu’il soit perçu comme entité sensible ou intelligible, le monde peut être interprété comme un organisme vivant qui tour à tour se rétracte ou se déploie. Parfois pris dans de telles convulsions que nous peinons à l’ appréhender - par ses accélérations ou, à l’inverse, par d’apparentes régressions lors desquelles le temps de l’ histoire tente de retrouver son souffle.
                   Mais il s’agit là, dans l'oeuvre de Gérald Thupinier, aussi d'une histoire d’ espace, de matière, et d’une abstraction mentale mise au défi d’une force tellurique de laquelle une pensée se décrit à l'instant de germer au-delà de ce nous pouvons concevoir, en aval des signes, des mots, du langage, repoussant toujours plus loin les cadres logiques de la représentation.
                       C’est ici que l’artiste opère. Qu’il racle  les peaux mortes du monde, qu’il en inaugure de nouvelles pour des récits à venir dont nous en deviendrions les acteurs pour peu que, face à ces œuvres, nous acceptions  l’aventure d’un autre regard , de risquer l’ailleurs, de partager l’engloutissement à partir duquel d’autres langages, d’autres émotions, d’autres pensées émergent. Du moins  si nous savons oser  ce cheminement périlleux, lent, intemporel, dans cette sombre forêt de Brocéliande quand la nature et les mots se plient aux lois d’une magie dont nous ignorons les tours mais dont les effets perdurent bien au-delà des traces que nous croyions encore percevoir alors que nous sommes déjà dans des dimensions inconnues qui, paradoxalement, peuvent énoncer notre monde.
                          Par sa seule peinture, Gérald Thupinier nous entraîne dans les sombres arcanes de cet univers initiatique. Non pas par la figuration mais par le jeu de la matière, par ce qu’elle recouvre et dévoile du langage et de la pensée. Le mot « pesanteur » naît et meurt ici dans la fixité de l’instant de la toile. Il décline de l’intérieur, l’obscurité et la lumière de ce qu’un langage traduit avant même qu’il ne fasse sens. L’aventure de Thupinier est celle d’une poésie brutale qui  saisit le sens et l’idée même de la peinture, à la gorge. Le mot est broyé, essoré. Il se confond à la matière dont il procède, cherche à s’en extraire dans un combat incertain. C’est cette intransigeance qui nous étreint ou nous émeut . Et cette puissance qui nous contraint à percevoir au-delà même du regard.
                        Ici le mot est une crevasse ou bien un moment d’éruption figé dans la toile. Apparition et disparition dialoguent dans le noir et blanc  d’une couleur éteinte ou à venir. Pour Gérald Thupinier tout est à naître dans l’acte de peindre, cette zone grise du chaos et de tous les possibles.
                       L’artiste est un démiurge. Il s’empare du monde en le créant. La peinture serait-elle le reflet de ce geste là? Ou plutôt, en serait-elle le langage?