Musée Matisse, Nice
Jusqu’au 8 janvier 2O24
On ne prête jamais suffisamment d’attention à un titre bien qu’il nous fournisse la clé d’une exposition. Il y a en effet un avant et un après dans l’œuvre de Shirley Jaffe. Née dans le New Jersey en 1923, l’artiste s’installe à Paris en 1949 où elle développera une peinture marquée par l’expressionnisme abstrait. Comme beaucoup de peintres de la diaspora américaine, Sam Francis, Riopelle ou Joan Mitchell, elle est d’abord marquée par l’impressionnisme qu’elle développera par une gestualité débridée pour faire éclore des formes de paysages mouvementés dans le tumulte des couleurs. Ainsi commence dans le Musée Matisse, l’accrochage des œuvres de Shirley Jaffe jusqu’à la fin des années 60.
Car il y a l’après, cette rupture radicale qui va progressivement s’opérer après la découverte des papiers découpés de Matisse en 1961 au Musée des Arts décoratifs à Paris. Mais aussi son séjour à Berlin en 1963 où elle entend la musique sérielle et éprouve la rigueur géométrique de Sophie Taeuber-Arp. De Matisse, elle retiendra les aplats colorés qui peu à peu se substitueront aux larges coups de pinceaux. Le geste s’apaise alors et, de plus en plus, les formes se structurent pour une sorte de calligraphie saisie dans un rythme de couleurs franches et contrastées. On y retrouve l’énergie de Kandinsky qu’elle admirait mais le rapport à Matisse devient évident. Les blocs de couleurs se répondent et, progressivement, le blanc organise l’espace par un jeu d’incisions où se dévoilent des collisions de blocs géométriques qui s’animent parmi des spires et des découpages végétaux.
La mise en parallèle des deux artistes permet de mesurer cette révolution qu’opéra Matisse et son retentissement sur l’art américain de l’après guerre. On y lira cette vitalité heureuse, cette envolée lyrique parfaitement maîtrisée entre tension, harmonie et idéalisation de l’espace. Plus Shirley Jaffe avance dans son œuvre plus sa peinture devient apaisée et silencieuse. Le blanc s’élargit pour faire vibrer la couleur saisie dans le minimalisme des signes. Comme une page qui s’ouvre pour délivrer une écriture inédite. Elle disait: «Je voudrais que mes tableaux donnent à quelqu’un en dehors de moi le sentiment des possibilités de la vie, qu’ils éveillent l’énergie pour affronter, pour faire face aux choses».