Galerie Port Lympia, Nice, du 23 juin au 15 octobre 2017
Peu
de temps avant sa mort en 1966, Alberto Giacometti note dans son
carnet : « Je ne comprends plus rien à la vie, à la
mort, à rien. » Ce doute qui s'apparente à un vide qu'il lui
faut aussitôt combler et qui ne cesse de le hanter, se concrétise dans
son œuvre, l'incite à se remettre toujours en question.
Contempler
une œuvre de Giacometti est un exercice plus difficile qu’il n'y
paraît. D'abord parce que sa signification semble se donner
immédiatement mais, au même moment, elle tend à s'effacer du
fait même de cette immédiateté et elle se fond dans une
interrogation existentielle à laquelle nous sommes sommés de
répondre. De cette opposition fondamentale entre le vide et le
plein, la vie et la mort, l'artiste nous en fournit cette réponse
matérielle qui nous laisse sans voix. Autant dire que cette œuvre
fascine, c'est à dire qu'au sens fort, elle nous charme, elle nous
jette un sort. Les sculptures minérales, plâtres et bronzes,
littéralement, nous pétrifient et nous renvoient aux mythes les
plus archaïques de la Grèce antique.
Celui de la Méduse par exemple. Petite-fille née de l'union de la
terre (Gaïa) et de l'océan (Pontos), cette divinité primordiale
incarne l'ambivalence tragique du regard : ses yeux ont le
pouvoir de pétrifier ceux qui les regardent. En quelque sorte, de les confondre dans le statuaire. L'oeuvre de Giacometti
peut se lire dans ce drame tapi au fond du dessin, de la peinture ou
de la sculpture. Drame qui prend toute sa résonance quand cet art
est ce combat forcené entre lumière, feu et extinction ; entre
le vide et l'effacement. Nous voici au cœur de ce qu'écrivait
Nietzsche dans « La naissance de la tragédie » :
cette opposition fondamentale entre le principe apollinien lié à à
la lumière et au feu et le principe dionysiaque sous les auspices de
l'effacement et de l'obscurité.
Cette
exposition relate en une cinquantaine d’œuvres ce doute fécond et
acharné qui taraude l'artiste dont la plus haute statue surgit à la
lumière de la terrasse et quand d'autres œuvres se dispersent
jusqu'aux pièces voûtées pour jaillir de la pénombre. Et on
est saisis alors par la signification que ces œuvres nous imposent:
L'homme est pétri, malaxé,vidé de toute substance ; il est
dépouillé de toute histoire, de toute psychologie. C'est l'homme
essentiel, réduit à un nerf, au point ultime de son incandescence.
L'homme en prise avec les éléments, le feu du bronze ou
l'assèchement du plâtre, ou saisi par le trait incisif du dessin
qui balafre la feuille.
Giacometti,
parce qu'il puise sa force dans l'origine du monde, ne dévoile aucun
secret mais impose dans le visible la puissance du magnétisme. Il
raconte notre histoire d'avant l'histoire.