Musée de la photographie, Nice
Jusqu’au 28 janvier 2024
Dans le contraste du noir et blanc comme dans la grisaille de l’après guerre, c’est pourtant une image du bonheur qui va éclore dans l’œil de Robert Doisneau. Non pas un bonheur idéalisé ou celui d'un rêve d’une beauté inaccessible mais seulement une foi totale en l’humanité, presque naïve, à travers les gestes du quotidien ou les regards qui se confondent entre sourires et grimaces.
Le photographe décline toutes les figures de la rue, ses angles cassés, ses rires tordus, ses jeux interdits et son terre à terre sur lequel la vie se formule dans la seule croyance des jours qui passent et d’une lumière à venir. Et Doisneau fut ce «passant patient» qui traqua avec malice ces instants de vie avec ses rires ébréchés, ses banlieues tristes et le seul soleil de la tendresse. Telle fut cette période d’une poésie de la grandeur des «petites gens», cette poésie de Prévert et des films de Carco. Et celle de la nuit des bistrots, de la gouaille des bouchers, du sourire des filles et des mauvais garçons. La vie se donne alors tel un théâtre et Paris est ce décor sur les planches desquelles se déhanchent les allumeuses et se noient des visages éteints dans l’incertitude du jour ou de la nuit. Illusion et vérité se croisent alors dans cet univers mythique et Robert Doisneau, dans ce monde à reconstruire, non sans ironie, extrait de ses clichés la seule croyance dans ce quotidien en en déchirant les larmes pour laisser place à cette photo qui le rendra célèbre en 1950, «Le baiser de l’Hôtel de ville.»
Cette écriture simple de l’image recèle pourtant toute la richesse de l’imprévu dans l’énigme des êtres qui la traversent, quand on y lit aussi la fragilité de leurs espoirs mais toujours leur force de vivre. Parmi les quelques 110 clichés de ce «Merveilleux quotidien», nous voici promeneurs déambulant dans ce monde d’hier dont nous percevons encore le souffle. Pourtant, dans un paradoxe brutal, sur la mezzanine du Musée, une série de vastes photographies en couleurs évoquent «Palm Srings 1960». Doisneau, pour son premier voyage en Amérique, réalise alors un reportage sur un golf dans le désert du Colorado. Ce sont alors des images solaires, des couleurs déchirantes pour une splendeur amusée quant à ce monde artificiel. Tels aussi ces autres éclats de vie qui se déposent sur le cliché, mais peut-être avec un ciel trop vaste et l’ennui. Et partout, la trace imperceptible d’une fragilité inquiète. Du noir et blanc jusqu’à la couleur, c’est un monde qui s’écrit et Doisneau le traverse toujours avec douceur et un brin de nostalgie.