mercredi 29 septembre 2021

Barthélémy Toguo, « Kingdom of faith »

 


Centre d'Art La Malmaison, Cannes

Jusqu'au 14 novembre 2021





L'art africain d'aujourd'hui reste pour nous trop souvent ancrée dans les notions d'artisanat ou dans l'affirmation de l'identité d'un continent. Or, loin de ces stéréotypes, en écho à l'exposition « Désir d'humanité » au Musée du Quai Branly à Paris, l'artiste camerounais Barthélémy Toguo décline toutes les gammes de l'universalisme par la rencontre de l'humain et de la Terre. Né en 1967, il s'initie à l’art en copiant des sculptures classiques européennes avant de s'ouvrir à l'ensemble des médiums par lesquels il déplie les relations entre un espace physique et le temps qui l'absorbe. Participant à la Biennale de Venise en 2015 et finaliste du prix Marcel Duchamp en 2016, Barthélémy Toguo est aujourd'hui une figure majeure de l'art africain.

Pourtant, l'artiste résidant tout à la fois à Bandjoun au Cameroun, à Paris et à Düsseldorf, ne parle pas tant de l'Afrique que des crises subies par les hommes sous le poids des différences et des conflits dont l'histoire s'écrit aussi dans les méandres d'une œuvre d'art. La dérive des continents est celle d'une fracture humaine. Il nous montre que cette tragédie s'inscrit aussi dans notre relation à la nature. Écologie, économie, politique et sciences sont le fruit d'une mémoire mais aussi d'un engagement que l'artiste réactive à travers toutes les facettes de son art.

L'exposition se présente comme un environnement, un espace où fusionnent peintures, sculptures, céramiques et installations pour clamer la présence aveugle de l'humain dans toutes les strates de l'univers. Le corps esquissé, balafré, noyé, est l'élément récurrent de cette géographie de l'Homme. Souvent monstrueux, revêtu d'une brume organique, il se pare de tentacules végétales qui lui confèrent pourtant la beauté troublante d'une naissance. Car la fluidité de l’aquarelle, la douceur d'un lavis rouge ou vert leur accordent cet espoir d'une réconciliation entre les cultures humaines et une nature sacrifiée. Des unes ou de l'autre qu'en est-il des frontières physiques ou mentales quand nous appartenons tous à une même chaîne ? Dans « Urban requiem », Barthélémy Toguo dissémine des sculptures de tampons géants en bois, rappels de la statuaire africaine mais surtout signes d'un pouvoir administratif qui donne quitus ou qui exclut. Ainsi en va-t-il des frontières comme pour tout ce qui sépare. Aussi les mots dans leur rudesse se rapportent-ils à l'apparence des choses : Ici en allemand, ils fusent comme des slogans sur les estampes affichées aux murs, « Ausweiss », « Staatsgrenze ». Autant de marques d'autorité imprimées sur un tampon par lesquelles l'humanité se dissout.

Maladie du monde, maladie du corps. Tout dans un même processus de la menace ou de la guérison. Dans « Autoportrait en confinement », l'artiste présente une série de lavis et pastels gras sur papier qui se confrontent à des vases en porcelaine de deux mètres de haut figurant des corps humains. L'ensemble joue de l'ambivalence de la gestation et du pourrissement, avec des formes organiques suggérées, des couleurs aqueuses ou sanguinolentes pour dire la violence et les épidémies. «Vaincre le virus », tel est le titre donné à ces vases comme s'ils contenaient tout l'espoir et la foi en l'humanité que l’œuvre de Barthélémy Toguo diffuse avec éclat et délicatesse.




mercredi 22 septembre 2021

Gregory Forstner, "Lollipot"

 


Galerie Eva Vautier, Nice

Jusqu'au 6 novembre 2021





Peut-être pour sa charge symbolique et le lien qu'elle établit ente nature et culture, la fleur apparaît dès les formes les plus anciennes de l'art. D'abord ornementale, elle s'ouvre par la suite à la composition des natures mortes et des « vanités » avant qu'Edouard Manet ne peigne des bouquets pour leur seule frontalité et leur vitalité nue ou que Morandi ne les éternise dans le silence somptueux de la peinture. Mais c'est une autre existence que leur accorde Gregory Forstner en les faisant éclore chez Eva Vautier comme aussi au Frac de Montpellier, ville d'accueil de l'artiste après un séjour de 10 ans à New York, ainsi qu'au « Suquet des artistes » à Cannes où il peint « Le soleil brûlant sous les paupières fermées ».

Juste un titre : « Lollipot ». En anglais « sucette » ou autrement, ce qui désigne un dispositif expérimental à partir d'algues vertes, la lumière blanche, la chlorophylle et la botanique. Et dans cet écart flottant du sens, Gregory Forstner, adepte de la nage en eau libre, déclare que le confinement l'a privé de son élément de prédilection, l'eau, et qu'il lui fallait renouer avec la puissance du geste, l'humilité du motif et brandir l'icône ringarde du bouquet de fleurs comme un défi aux récits de la modernité ou plus encore, à l'idée d'enfermement.

Les compositions florales surgissent souvent ici dans un format monumental inédit. Elles naissent à partir d'un vase tel une bulle d'air dans un environnement liquide. Les tiges s'élèvent de cette origine-là pour éclore dans l'éclat des pétales. La couleur s'imprègne des nuances de la douceur et de la violence. Tour à tour épaisse ou diluée, elle revendique sa puissance à dire le monde par elle-même en défiant les stéréotypes, en osant montrer que la vérité de la fleur c'est avant tout celle de la peinture dans son essence même. Eau, transparence, élévation, éclosion, matière, disparition, tout est là, absorbé dans le seul espace de la toile. Nous connaissions les fantasmagories de Grégory Forstner, l'imbrication de l'animal et de l'homme pour des fables inquiètes et voici que désormais il s'immerge dans le seul élément de la peinture. Il écrit: "Comme la peinture et la mer qui peuvent être mauvaises mais ne déçoivent pas (...) Le ventre de l'océan dans les dents. Lorsque je nage, je ne sais si c'est l'air ou l'eau que je respire (...) Au sommet de la langue, une sucette se dresse. L'ascenseur est fragile."

Peindre c'est alors nager en eaux troubles, faire l'expérience de la sensualité quand tout remonte du fond du corps comme le ferait la fleur qui se hisse hors du vase et de l'eau pour s'offrir dans la seule nudité de la peinture.


lundi 13 septembre 2021

Les couleurs de Nadia », Nadia Léger

 

 


Musée de l'Annonciade, Saint Tropez

Jusqu'au 14 novembre 2021


Un titre pour un prénom. Car l'exposition rend hommage à une femme dont l’œuvre fut longtemps éclipsée par l'ombre du nom de son mari, Fernand Léger. Et ce sont toutes les facettes de l'artiste qui, à travers 65 pièces, apparaissent dans ce Musée de l'Annonciade à Saint Tropez qui abrite nombre d'artistes phares du XXe siècle tels que Bonnard, Signac, Derain ou Matisse.

Nadia Léger (1904-1982) quitte sa Russie natale à 21 ans après avoir été l'élève de Kasimir Malevich. Elle étudie désormais à Paris aux cotés d'Amédée Ozenfant dont elle retiendra l'inspiration puriste, et de Fernand Léger auquel elle empruntera cet équilibre parfait entre les larges aplats de couleurs franches et la rigueur du dessin par ses courbes noires et sa géométrie plane. Pourtant si l’œuvre de Nadia reste profondément marquée par le style de l'homme qu'elle épousera en 1952, elle témoigne d'approches très diverses. Influencée par les leçons du suprématisme et des avant gardes russes, elle sera intéressée par le surréalisme, le cubisme mais aussi par le réalisme socialiste qu'elle développera sur le mode de la propagande soviétique d'alors. Militante du Parti Communiste, son engagement sera sans faille et s'exprimera par l'illustration de toute la gamme des stéréotypes à la gloire des travailleurs et de la frontalité conquérante de ceux-ci. L'idéalisation parfois naïve du propos témoigne cependant d'une authentique sincérité et d'une parfaite maîtrise de la forme et de la couleur.

La peinture de Nadia Léger est franche et sans détours. Dans ses portraits, l'artiste peint des personnages sans ambiguïté, sûrs de leur totale détermination. Ils sont à la mesure du trait et des courbes qui les cernent. Mais ce sont surtout « les couleurs de Nadia » qui imposent leur force dans cette œuvre à découvrir. Dans une harmonie austère, les tons parviennent pourtant à vibrer par le jeu de contrastes subtils, de nuances délicates pour une lumière franche qui se diffuse sur la totalité du tableau. L'équilibre règne. Le regard ne se dérobe jamais. Il nous fixe dans sa sincérité et nous lui répondons sur ce mode de l'émotion qu'on peut ressentir lorsqu'on se confronte à qui s'exprime sur le ton de l'évidence. Le seul propos guide toujours la main de l'artiste qui ne veut qu'en être la fidèle interprète.