Le Suquet des Artistes, Cannes
Jusqu'au 11 décembre 2022
Au début était la peinture. Cette matière brute du monde avant que le sens ne se diffuse comme conscience et que son énergie ne se dépose sur la roche de la caverne préhistorique. Orsten Groom sonde cette origine dans les balbutiements de l'art rupestre mais aussi dans les moments de sa propre vie, sa filiation judéo-polonaise, son amnésie lointaine ou la naissance récente de son fils. Et sa peinture, dans une vaste épopée, se nourrit de ce magma primordial qui ne cesse de déferler en vagues de recouvrements et d'effacements. Tour à tour, ses toiles hurlent ou se referment dans un mutisme sidéral, les couleurs jaillissent et les flammes incendient les ébauches de figures pour se figer dans une peau morte. Ainsi, entre mémoire et oubli, le monde d'Orsten Groom s'écrit-il à livre ouvert entre braises et cendre.
Sa peinture s'imprègne des contes de l'enfance, des mythes fondateurs et de tous ces archétypes enfouis dans l'épaisseur de la matière. Elle ravive le murmure inquiet de ces êtres qui se nomment Pinocchio, Alice et son lapin ou bien le Roi des Aulnes. Ceux-ci apparaissent aussi vite qu'ils se dissolvent dans les jets colorés, les coulures et les signes qui les inscrivent dans le sillage de l'histoire de l'art avec le souvenir de Jérôme Bosch, Ensor ou Picasso. Le peintre est cet archéologue qui prélève des traces - l'impression d'une main sur la roche, les contours d'un animal ou la folie carnavalesque d'un Arlequin ou d'un Pierrot lunaire. Mais aussi il rature, recouvre, exhume. Toujours, il refuse l'image pour le «limbe», cette charnière entre le visible et l'invisible, ce seuil où la vie prend racine et tente de se formuler entre figuration et abstraction. Les toiles, souvent monumentales, se présentent alors comme de vastes palimpsestes - un «fatras» comme Orsten Groom aime à les qualifier.
Ainsi erre-t-on dans des cavernes imaginaires illuminées d'un sombre feu intérieur. «L'origine est un tourbillon dans le fleuve du devenir» écrivait Walter Benjamin. Le temps et l'espace se confondent ici quand l'origine est aussi une fin dans un mouvement dont la peinture en elle-même restitue toute la puissance.