Centre de la Photographie, Mougins
Jusqu'au 10 octobre 2022
On connaît cette histoire du déclin industriel, du déclassement de la classe ouvrière et de la paupérisation qui en découle. Tel fut le destin, à partir de l'Angleterre tchachérienne et des décennies suivantes, pour cette population de Liverpool dont, jour après jour, Tom Wood qu'on surnommera Photie Man, partagera le quotidien pour restituer les images d'un peuple réduit aux gestes de la fierté et de la déchéance.
A partir de 1978 le photographe s'installe à Liverpool, assiste à la disparition des chantiers navals et de l'activité portuaire. Il capte les lieux, les indices de désolation et de solitude pour une communauté industrieuse si fière de ses codes mais abandonnée à elle-même. Cette histoire-là, Tom Wood la relate non sous forme d'anecdotes mais par la seule force frontale des personnages saisis dans leur cadre de vie. Au travers des rues, il fixe les visages, les corps et les gestes dans un subtil noir et blanc ou par des couleurs vives, presque stridentes pour, dans un implacable portrait social, traduire les rêves perdus mais aussi la solidarité et le quotidien d'une vie ou de ce qu'il en reste: Images figées entre déterminisme et répétition, femmes poussant leurs bandeaux d'enfants tristes aux regards hébétés mais à l'humanité poignante. Visages ébréchés mais fiers de leurs cicatrices. C'est toute une vie qui se lit dans cette classe ouvrière arrimée à ses codes comme ultime rempart à la solitude. Tom Wood témoigne des restes d'une désagrégation économique et exhibe les traces d'une déchéance sans jamais traduire autre chose que la solidarité d'une communauté en friche mais soudée dans un même destin.
Ici rien ne se cache, tout se dit crânement et rien de triste ou d’héroïque. Tout n'est que la vie qui passe. Des rues, des parcs ou des marchés. Des femmes entre elles réduites à la fonction maternelle et les hommes fiers du travail ouvrier ou abandonnés au chômage et qui se retrouvent dans l'effervescence populaire et fusionnelle du stade de football. Tous ces rituels de la banalité et du quotidien sont captés par des effets de cadrage d'une fixité froide ou, au contraire, désaxés, déviés du côté de la grimace et des plaisirs pour des nuits sans fin et d'abandon comme dans ces photographies de «Looking for love» saisies dans l'ivresse d'une boite de nuit populaire.
En toile de fond, toujours ce no man's land industriel, la fièvre du samedi soir et la force de chacun à se retrouver dans l’idée d'un partage. Tom Wood excelle dans une ironie douce amère à traduire les gestes abandonnés, les mains dans les poches, les regard provocateurs, l'excès de rouge à lèvres, les cambrures ou la tristesse. Rien de caricatural pourtant dans ce regard fraternel que le photographe pose sur cette communauté. Au-delà de l'image d'une vie perdue, il y a toujours un horizon au fond des yeux, un rêve tapi dans la dureté des corps. En 2002 Tom Wood a reçu le «Prix dialogue de l'Humanité» aux Rencontres d'Arles. On comprend pourquoi.
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