vendredi 21 février 2020

Fabien Giraud § Raphaël Siboni, INFANTIA (1894-7231)




Institut d'Art Contemporain, Villeurbanne
Jusqu'au 3 mai 2020

Déconcertante par son caractère hypnotique et sa complexité, l’œuvre de Fabien Giraud et Raphaël Siboni ne peut laisser indifférent. Tout ici est déchirure et déchirement, fiction et réalité, vie et mort. Mais au-delà de l'errance à laquelle elle nous soumet, cette œuvre est un récit ou, plus précisément, une juxtaposition de séquences morcelées où s'agrippent des voix lointaines et obsessionnelles, des films lents ou saccadés qui diffusent de la mémoire ou les vestiges d'un temps lointain comme l'écho de notre futur.
L'IAC de Villeurbanne se transforme pour l'occasion en labyrinthe austère dont les salles ne permettent plus aucune circulation linéaire. Au contraire, elles communiquent même par des trouées latérales qui permettent au regard de s'exercer sur des salles annexes. Des tubulures parfois en mouvements et des incisions murales supposées correspondre à l'axe de la terre, créent un réseau inextricable d'un lieu à l'autre, un espace déconcertant qui happe le visiteur.
Le décor est posé, tout est lenteur, palpitation impalpable d'une vie qui germe et s'éteint dans un même geste. Le sol est jonché de déchets, borné par des traces de moisissure, de sel et de sculptures d'objets érodées tandis que du plafond, des sceaux ou d'autres dispositifs arrimés par des cordages, deviennent des sabliers desquelles des gouttes d'eau s'écoulent comme des poussières de temps. Et surtout, des corps vivants et bien réels dans leur absolu immobilité, ponctuent l'espace, allongés dans des positions de misère au milieu des détritus.
Tout ceci ne pourrait être qu'une mise en scène ambiguë si l'enjeu ne résidait pas dans la structuration d'un récit avec toutes ses composantes - films, performances, installations avec des caméras et des ébauches de sculptures - pour un voyage au-delà de toute frontière mentale. De forme étoilée, cette fiction se défriche douloureusement et nous confronte à la banalité de nos schémas narratifs. Réel et imaginaire se croisent dans un scénario ou des mortels se rejoignent pour créer en 1894 un phalanstère communiste. Et toute l'expérience de l'exposition se réalise sur l'idée du capital, de la valeur et de l'échange. Tout sera ici signifié par ces indices d'un stricte signifiant économique quand l'échange se réduisait au sel, aux plumes et aux objets les plus pauvres avant toute autre monnaie. Le sel est au cœur de cette œuvre quand il sert à la composition de masques blancs, tel des résidus d'échanges mais aussi un rappel de la conservation des corps. Vie et mort, naissance et disparition, traversent la narration. « Infantia » c'est ce premier balbutiement du monde mais aussi son dernier râle. Les vagues du temps se déplient et se déploient dans l'espace qui alors s'étoile et se fêle. Échange et valeur règnent ici dans leur grande solitude. La fiction nous transporte jusqu'en 7231 où des immortels vivraient sur une nouvelle terre qu'ils auraient construite sur les ruines de l'ancienne.
Utopie et uchronie se croisent dans des mouvements ondulatoires quand la réalité est toujours proche, obsédante dans le miroir implacable de la fiction. Fabien Giraud et Raphaël Sidoni parviennent ainsi à agréger des bribes d'histoire réelle, une interview de Nixon en 1971 et des méditations délirantes qui nous projettent dans l'univers d'un Escape Game inquiet. L'expérience est réussie : cette histoire nous hante et, tout en déambulant dans l'exposition, le visiteur cherche la clé d'une énigme dont lui seul aura peut-être la réponse.












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