L'artisan
s'attache à la perfection dans le traitement d'une matière et tend
à adhérer au plus près aux normes de son époque dans la notion du
beau. Or ce mot-là est pourtant sa limite parce qu'il ne cesse
d'évoluer au fil du temps en fonction de la transformation des
idées, des mutations de l'imaginaire et l'apparition de formes
nouvelles. Le beau demeure cet impossible que seul l'artiste
s'acharne à poursuivre dans sa pensée pour renouveler encore ces
formes. Ou, mieux, la beauté ne doit pas être le but poursuivi par
l’artiste, elle n'intervient que par détour au terme d'un projet
dont elle était absente : elle consacre alors d'avantage une
idée qu'une forme car les hiérarchies esthétiques ne relèvent
toujours que de conventions culturelles. Le beau pour celui qui le
reçoit n'est qu'un accomplissement mystérieux au terme d'une
expérience sensible.
Aujourd'hui encore, la notion d'atelier, la relation entre la main et
l’œuvre, le lien intime entre la pensée et le faire, la
conscience d'une unité tragique entre soi et le monde demeurent pour
bien des artistes la source de toute création. L’œuvre ne
questionne pas, elle est une réponse, un écho, un cri, un signe ou
un silence. Véronique Roussiaux
travaille la terre. C'est à dire qu'elle cherche en elle une
signification tout en la laissant s'exprimer, en privilégiant ses
caprices, en l'accompagnant dans une réflexion constante sur ce qui
l’unit à l'univers, à nous-mêmes, de l'atome jusqu'à l’infini
du ciel. Le geste n'est plus alors celui de l'artisan, il engage une
relation tellurique au monde – celle de la magie, du rapport à un
temps réduit à un concept fragile quand il se mesure à l'espace
ondulatoire de l'infini.
Entre cette terre et l'artiste, un lien se noue, celui de la matière
toujours mouvante, informe, dont il s'agit, pour un instant, de fixer
dans le temps un état transitoire qui, pourtant, révèle le reflet
d'une conscience et d'un choix. Véronique Roussiaux donne forme aux
convulsions de l'argile, avec le brillant de la porcelaine, le feu du
four dans lequel la terre éclate, se contorsionne et d'où jaillit
la couleur. Le geste de l'artiste accompagne, par la pensée, cette
vie autonome des éléments. De ces céramiques, des stèles légères
s'envolent, libérées du magma terrestre, comme par des ailes
ruisselantes de projections colorées. Ou bien des racines
s'entortillent contre le ventre de la terre dans un sombre combat où
la lumière se heurte à l'angoisse de l'incertitude.On entend alors
dans ces sculptures comme la résonance du « Grand combat »
d'Henri Michaux qui s’achevait ainsi : « On s'étonne,
on s'étonne, on s'étonne / Et on vous regarde / On cherche aussi,
nous autres, le Grand Secret. »
Chapelle des Pénitents blancs, Aspremont, jusqu'au 19 mai 2019
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