vendredi 3 mai 2019

Véronique Roussiaux, "Visions cosmiques"



L'artisan s'attache à la perfection dans le traitement d'une matière et tend à adhérer au plus près aux normes de son époque dans la notion du beau. Or ce mot-là est pourtant sa limite parce qu'il ne cesse d'évoluer au fil du temps en fonction de la transformation des idées, des mutations de l'imaginaire et l'apparition de formes nouvelles. Le beau demeure cet impossible que seul l'artiste s'acharne à poursuivre dans sa pensée pour renouveler encore ces formes. Ou, mieux, la beauté ne doit pas être le but poursuivi par l’artiste, elle n'intervient que par détour au terme d'un projet dont elle était absente : elle consacre alors d'avantage une idée qu'une forme car les hiérarchies esthétiques ne relèvent toujours que de conventions culturelles. Le beau pour celui qui le reçoit n'est qu'un accomplissement mystérieux au terme d'une expérience sensible.
Aujourd'hui encore, la notion d'atelier, la relation entre la main et l’œuvre, le lien intime entre la pensée et le faire, la conscience d'une unité tragique entre soi et le monde demeurent pour bien des artistes la source de toute création. L’œuvre ne questionne pas, elle est une réponse, un écho, un cri, un signe ou un silence. Véronique Roussiaux travaille la terre. C'est à dire qu'elle cherche en elle une signification tout en la laissant s'exprimer, en privilégiant ses caprices, en l'accompagnant dans une réflexion constante sur ce qui l’unit à l'univers, à nous-mêmes, de l'atome jusqu'à l’infini du ciel. Le geste n'est plus alors celui de l'artisan, il engage une relation tellurique au monde – celle de la magie, du rapport à un temps réduit à un concept fragile quand il se mesure à l'espace ondulatoire de l'infini.
Entre cette terre et l'artiste, un lien se noue, celui de la matière toujours mouvante, informe, dont il s'agit, pour un instant, de fixer dans le temps un état transitoire qui, pourtant, révèle le reflet d'une conscience et d'un choix. Véronique Roussiaux donne forme aux convulsions de l'argile, avec le brillant de la porcelaine, le feu du four dans lequel la terre éclate, se contorsionne et d'où jaillit la couleur. Le geste de l'artiste accompagne, par la pensée, cette vie autonome des éléments. De ces céramiques, des stèles légères s'envolent, libérées du magma terrestre, comme par des ailes ruisselantes de projections colorées. Ou bien des racines s'entortillent contre le ventre de la terre dans un sombre combat où la lumière se heurte à l'angoisse de l'incertitude.On entend alors dans ces sculptures comme la résonance du « Grand combat » d'Henri Michaux qui s’achevait ainsi : « On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne / Et on vous regarde / On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret. »

Chapelle des Pénitents blancs, Aspremont, jusqu'au 19 mai 2019

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