Du
14 févier au 3 mai 2020
« Ils ont insisté pour
couvrir les fissures, mais les murs transpiraient toujours. »
De cette phrase liminaire à son exposition, Sol Calero, artiste
vénézuélienne en 1982 et résidant désormais à Berlin, nous
parle de plaie et de mémoire comme pour nous convier à recevoir
l’œuvre au-delà de ce qu'elle montre, à percevoir les trouées
dans un espace d'apparence si lisse, si confortable dans le quotidien
qu'elle suggère.
Elle installe un paysage
tropical dans la Villa Arson, dans son architecture brutaliste, et
des peintures végétales dans leur enchevêtrement de couleurs rutilantes qui se mêlent à des murs repeints à vif, avec ci et là des
balafres d'un jaune ou d'un bleu intense à la fois en harmonie et en désaccord avec elles. Dans cet espace, tout est paradisiaque. Et
comme chez le Douanier Rousseau, tout est intemporel mais la naïveté
apparente n'est-elle pas feinte ? Et comme pour les oiseaux qui
venaient picorer les raisins de Zeuxis tellement ils étaient
parfaitement peints, l'artiste n'est-il pas lui-même abusé par ses
propres représentations du monde ?
De paradis il n'y en aurait que
d'artificiel et chacun recèle son serpent. Cette idéalisation, que l'on se construit et qui perdure dans l'art, traverse l’œuvre de Sol Calero. Celle-ci en explore physiquement les
failles à l'intérieur de l'espace qu'elle crée pour son travail.
De sa mémoire, elle extrait des bribes de beauté, des feuillages
et des fleurs mais aussi des éléments de mobilier, des céramiques,
des livres, des fragments de mythologie sud américaine. Pourtant il
y a cette réalité du lieu présent, du paysage qui revient par les
baies vitrées. Et aussi les parois de la Villa récemment meurtries
par de récentes intempéries dont l'artiste accentue les crevasses,
y insérant des branchages, accumulant des décombres comme pour un
passage du dehors au dedans mais aussi du passé au présent. L’œuvre
est poreuse, incertaine, au-delà de ce qu'elle figure. « Oublieuse
mémoire » écrivait Jules Supervielle à laquelle Sol Calero répond
par la trompeuse mémoire - celle qui revient par fragments, illusion
sensorielle, et se cogne au réel.
L'identité se construirait-elle
sur un héritage personnel, culturel, collectif et post colonial ou
bien les reliques de celui-ci seraient-elles aussi saisies par les détours de l'idéalisation ? L'identité c'est encore une construction à
partir d'un leurre et l’œuvre est cette quête du réel par le
détour de l'idéal. C'est beau avec un reste de mélancolie. N'y aurait-il que des paradis perdus?