mardi 17 décembre 2019

Corinne de Battista, "Entrez dans la danse"


"Une souris verte" Technique mixte sur carton, 120x80cm

Une image se réduit souvent à une illustration, c'est à dire, pour en revenir au sens premier du mot, à la seule « mise en lumière » d'un récit. Or ce qui est ainsi donné à voir, ce qui est éclairé parfois jusqu'à l'aveuglement, n'est que la strate visible d'un palimpseste quand le texte ou l'image résulte plutôt d'un ensemble de sédiments de sens qui s’additionnent, se contredisent ou inaugurent une forme d'interprétation en porte à faux avec ce qu'elle prétend révéler. Les mythes, les contes et les récits fondateurs abondent en lapsus, glissements métaphoriques et jeux de miroir à travers lesquels plusieurs réalités se superposent et se nient et, au-delà d'une surface lisse et rassurante, la violence originelle ne cesse de bouillonner dans les entrailles de la représentation.
Corinne de Battista explore le récit sur lequel une image se construit et elle s'attache à désarticuler celle-ci en fonction de ce quelle proclame et de ce qu'elle dissimule. Cette dualité, elle est particulièrement présente dans les comptines et rondes d'enfants et l'artiste en déconstruit l'image, autant en archéologue, qu’en archiviste et en sémiologue, afin d'en extraire le fond sulfureux. Sous le cratère éteint et d'une apparence trompeuse, une lave en fusion travaille cette humanité qui se donne en images et en mots, parfois pour se mentir à elle-même mais toujours pour en travestir l'horreur originelle.
Diplômée de l’École des Beaux-arts d'Aix-en-Provence en 1995, Corinne de Battista draine ces remugles de mémoire, ces dépôts fanés d'images d’Épinal où se logent aussi bien des hallucinations collectives sous le couvert de représentations intimistes que de la candeur simulée là ou ne règnent que douleur et perversion. La peinture permet d'arracher au temps et à l'enfance des vérités enfouies. Derrière la simplicité des formes, la modestie de la couleur, le flou de l'imaginaire traverse l'image empruntée parfois à des photographies anciennes. Le cadre est pesant. On y devine un environnent vénéneux, peuplé de fantômes familiaux quand l'intime se noue au collectif et que l'artiste exhume, par exemple, l'horreur derrière une « Souris verte ». Cette amusante comptine relate pourtant l'histoire d'une « souris », comme on appelait alors les insurgés vendéens pendant la Révolution. Elle sera torturée et plongée dans de l'eau et de l'huile bouillante. L'artiste propose alors de recomposer ces images pour toute une série de récits obsédants liés à l'enfance mais sur un fond de terreur, de prostitution, de torture, de cannibalisme et d'angoisse sexuelle.
 Ceci se dessine et s'écrit dans une remontée dans le temps où l'on croisera des allusions à Brueghel l'Ancien et à l'imagerie médiévale. Le paradis de l'enfance est recouvert d'un manteau sombre que Corinne de Battista arrache pour s'enfoncer dans les méandres d'un rituel initiatique. L'artiste laisse l'image s'infuser de toutes les contradictions des enfants et des adultes. Dans une ronde, on s'exclut et on s'intègre tour à tour. L'enfant, comme l'artiste, parlent déjà toute la violence et toute la beauté du monde.

Artothèque. Pôle culturel Chabran. Draguignan
Jusqu'au 22 février 2020



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