dimanche 26 janvier 2020

Quentin Spohn, "Carambolage au marché d'Anvers"


Plus que d'une découverte, les dessins de Quentin Spohn font l'effet d'une révélation. D'abord par ce format imposant, quasiment inédit, qui happe le visiteur et l'enjoint de pénétrer l’œuvre, à se l’approprier. Or celle-ci, parfois contradictoire - rigide ou flottante - révèle aussi l'essence même du dessin, à travers son histoire, ses techniques et ce qu'il dit du monde et de la vie. Aller à la rencontre d'une telle œuvre au-delà de ce qu'elle énonce, éprouver le rythme d'un espace, ses déchirures ou l'imbrication des plans ainsi que la tension interne à chaque image, s'annonce comme une véritable expérience physique.
D'une dimension de treize mètres, le plus grand des dessins présentés capte le regard. Il évolue dans une brume grise d'où tour à tour éclosent des visages ensommeillés, un univers prénatal, des formes cellulaires et des centaines d'autres figures souvent réduites à quelques centimètres. Sans cesse le microcosme se mesure alors à l'infinité de l'espace, le biologique se mêle à toutes les strates de nos mythologies ou de l'histoire de l'art. Il nous faut toujours adopter dès lors une position de recul pour saisir l’œuvre dans son intégralité et de multiples déplacements pour se confier à tel ou tel point de vue narratif. A l’inverse, dans cette profusion de signes, un simple détail aimante notre regard au point de nous rapprocher au plus près du dessin, dans ses germes.
Toutes les cultures sont convoquées de même que les indices de signification affluent. Le fond carnavalesque, l'empreinte surréaliste s'énoncent déjà dans le titre de l'exposition « Carambolage au marché d'Anvers ». On y retrouvera aussi « l'envers » de la vision comme dans les figures inversées de Baselitz, le souvenir des peintures d'Ensor, de Bosch, d'Otto Dix mais aussi l’univers de Matta, la bande dessinée ou le numérique. Des éléments architecturaux empruntés à des civilisations disparues croisent les icônes qui ponctuent notre quotidien. La figuration se heurte à l'abstraction, les formes surgissent pour disparaître dans des nébuleuses liquides. Tout est dans tout, dans la solitude ou le chaos.
Quentin Spohn se saisit du monde dont il déchire les apparences pour le réduire à un catalogue de fragments d'encyclopédie ou d'apocalypse. Travaillant au fusain ou à la pierre noire, il joue du flou ou de zones violemment contrastées. La lumière fuse parfois par éclats dans l'eau des rêves. Des lueurs inquiètes, l'exactitude sensible nous rappellent Rembrandt avec toute sa diversité; elles traversent un récit qu'il nous faut sans cesse recomposer et qui pourtant s'impose de lui-même par la seule force de l'énergie qu'il déploie.
Les œuvres de Quentin Spohn seront aussi présentées par la galerie lors de la prochaine édition de Drawing Now en mars 2020.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire