Plus
que d'une découverte, les dessins de Quentin Spohn font
l'effet d'une révélation. D'abord par ce format imposant, quasiment
inédit, qui happe le visiteur et l'enjoint de pénétrer l’œuvre,
à se l’approprier. Or celle-ci, parfois contradictoire - rigide ou
flottante - révèle aussi l'essence même du dessin, à travers son
histoire, ses techniques et ce qu'il dit du monde et de la vie. Aller
à la rencontre d'une telle œuvre au-delà de ce qu'elle énonce,
éprouver le rythme d'un espace, ses déchirures ou l'imbrication des
plans ainsi que la tension interne à chaque image, s'annonce comme une
véritable expérience physique.
D'une
dimension de treize mètres, le plus grand des dessins présentés capte
le regard. Il évolue dans une brume grise d'où tour à tour
éclosent des visages ensommeillés, un univers prénatal, des formes
cellulaires et des centaines d'autres figures souvent réduites à
quelques centimètres. Sans cesse le microcosme se mesure alors à
l'infinité de l'espace, le biologique se mêle à toutes les strates
de nos mythologies ou de l'histoire de l'art. Il nous faut toujours
adopter dès lors une position de recul pour saisir l’œuvre dans
son intégralité et de multiples déplacements pour se confier à
tel ou tel point de vue narratif. A l’inverse, dans cette profusion
de signes, un simple détail aimante notre regard au point de nous
rapprocher au plus près du dessin, dans ses germes.
Toutes
les cultures sont convoquées de même que les indices de
signification affluent. Le fond carnavalesque, l'empreinte
surréaliste s'énoncent déjà dans le titre de
l'exposition « Carambolage au marché d'Anvers ».
On y retrouvera aussi « l'envers » de la vision comme
dans les figures inversées de Baselitz, le souvenir des
peintures d'Ensor, de Bosch, d'Otto Dix mais
aussi l’univers de Matta, la bande dessinée ou le
numérique. Des éléments architecturaux empruntés à des
civilisations disparues croisent les icônes qui ponctuent notre
quotidien. La figuration se heurte à l'abstraction, les formes
surgissent pour disparaître dans des nébuleuses liquides. Tout est
dans tout, dans la solitude ou le chaos.
Quentin
Spohn se saisit du monde dont il déchire les apparences pour le
réduire à un catalogue de fragments d'encyclopédie ou
d'apocalypse. Travaillant au fusain ou à la pierre noire, il joue du
flou ou de zones violemment contrastées. La lumière fuse parfois
par éclats dans l'eau des rêves. Des lueurs inquiètes,
l'exactitude sensible nous rappellent Rembrandt avec toute
sa diversité; elles traversent un récit qu'il nous faut sans
cesse recomposer et qui pourtant s'impose de lui-même par la seule
force de l'énergie qu'il déploie.
Les
œuvres de Quentin Spohn seront aussi présentées par la galerie
lors de la prochaine édition de Drawing Now en mars
2020.
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