Coudre le réel ou en découdre
S'il
lui faut introduire de la pensée, la fonction de l'art ne
réside-t-elle pas surtout dans une volonté de produire des objets
non identifiés ? Taus Mahhacheva, pour sa participation
à la Biennale de Lyon, propose un véritable OVNI conceptuel et
formel. Supposé, dans son origine historique, être volant, l'objet
ici se déploie, flottant dans l'air et l'espace de l'usine Fagor,
comme en suspens parmi ses références et son contexte. L’œuvre,
au-delà de son imposante présence formelle, est un récit, un
patchwork constitué de plusieurs strates narratives.
L'artiste
d'origine russe recompose un aérostat, « Le Flesselles »,
réalisé et lancé à Lyon en 1784. Elle met en scène les formes et
l’histoire de cet événement en en fournissant une reproduction
métaphorique dont elle réécrit la trame en fonction des
préoccupations actuelles de notre monde. La forme est empruntée à
l'objet initial et reconnue comme telle. Pourtant cet élégant et
imposant cocon blanc, flottant dans l'espace, n'est plus identifiable
dans sa fonction. Entre des zones de plein et de vide, il se dilue
dans un contexte vestimentaire qui est aussi celui de la robe et de
ses matériaux, de la féminité et du ventre. On devine des attaches
qui pourraient être de la dentelle de même qu' une crinoline comme
armature de ce dispositif.
L’œuvre se nourrit d'autant
plus de ces ambiguïtés qu'aux tissus employés, elle juxtapose
l'idée du tissus social. En effet, à un corpus et à des
technologies anciennes, l'artiste superpose les techniques actuelles
en utilisant celles des étudiants en création de costumes d'un
lycée de Lyon. Les notions d'histoire et de technique dans un champ
social déterminé ne cessent de délimiter les contours plastiques
de l’œuvre. Celle-ci se donne, dans un équilibre subtil, comme
une histoire de la mode et du corps mais aussi tel un découpage
sensible dans l'espace et le temps.
Comme
Taus Makhacheva, l'artiste colombien Felipe Arturo fait
partie du programme de résidence du SAM art projects et est donc
présentée lors de cette Biennale. Il s'intéresse à l’économie
à travers l'histoire et la géographie et réalise sous forme
d'installation un musée imaginaire où se tissent toutes les
connections à partir de la production du café jusqu'à sa
consommation. Là encore la réflexion sur le présent se joue dans
une série de dispositifs aussi surprenants qu'intrigants.