Minouk Lim, La rivière
sans retour.
C'est parfois son titre qui
offre à une exposition son supplément d'âme. « Si tu me
vois, je ne te vois plus » est ce je enlacé au tu dans une
tragédie de l'absence, comme dans un miroir ou l'un et l'autre se
répondent dans une identité inquiète ou quand la présence de l'un
convoque le spectre de l'autre. Minouk Lim est coréenne. L’œuvre,
ruisselante de poésie, évoque sa nation divisée, le regard absent
qu'on porte sur le présent ou le chagrin de l'indifférence. Elle
observe dans le prisme de ses installations les mutations de son
pays, le poids du passé et la pesanteur d'un monde industriel livré
à la menace écologique. Déjà présente au Centre Pompidou en
2017, son film New Town Ghost » évoquait le désarroi et
l'errance d'une femme dans un paysage urbain en pleine mutation.
Dans une halle des Usines Fagor,
un canal lumineux se fraie un chemin dans l'obscurité. On y devine
les drames d'une nation, les larmes, la vie qui s'écoule dans un
silence de plomb, cette eau lumineuse qui serpente comme une artère
pleine de promesses et qui ne charrie que de l'incertitude. Une balle
lumineuse vogue au hasard du courant, quelques éléments organiques
associés à un vêtement traditionnel coréen suffisent à poser les
jalons d'un récit dont la sombre douceur impose émotion et
recueillement. C'est un fleuve d'or qui déchire la nuit. C'est
l’absurdité du rêve et de ses fantômes.
Minouk
Lim répond ainsi de façon grave au titre de cette quinzième
Biennale de Lyon : « Là où les eaux se mêlent ».
Ici l'espoir, la croyance à la douceur d'une rencontre, là la
réalité d’une eau circulant dans les méandres d'un anneau
discontinu d'entrelacs phosphorescents. L'eau captive de son circuit
fermé. L'artiste se mesure ainsi à un face à face douloureux où
s'affrontent solitude et rencontre. Les eaux sont ici la métaphore
du vivant et qu'en surgit-il lorsqu'elles parlent aussi bien d'un
flux qui nous emporte que d'un courant qui nous noie ? La beauté
sans doute, l'or qui tapisse nos espoirs ou nos rêves, cette lumière
arrachée à la nuit que Minouk Lim nous fait partager.
Usine Fagor, 15e Biennale de Lyon
Jusqu'au 5 janvier 2020