mercredi 26 juin 2019

Ben

                       Ben et ses invités, "La vie est un film"
                        Le 109, Nice, jusqu'au 19 octobre


Loin de se confiner dans sa tour d'ivoire, Ben a toujours voulu fédérer toutes les énergies créatrices, toutes les actions et performances en relation avec le public et les autres artistes. A 83 ans, le voici toujours en mouvement et, sur les 2000 m2 du « 109 » à Nice, il propose, non pas une exposition au sens conventionnel, mais plutôt un événement qui tend à montrer que « La vie est un film ».
Un film qui se dévide comme le flux du temps avec des images qui remontent des débuts de l'artiste vers la fin des années 5O et qui déferlent jusqu'à aujourd'hui, toujours avec la même pugnacité, le même sens de l'ironie et du doute. Sur un ring au milieu de l'espace, Ben se confronte à son environnement et, refusant toute hiérarchie, il présente une cinquantaine d'artistes, certains connus, mais aussi des amis ou des anonymes. De ce flot d'images ou d'aphorismes, c'est toute la diversité de l'art qui surgit en désordre comme si cet amas d'expériences et d'individualités constituait en lui-même une installation liée à une série de performances comme Ben excelle à en produire.
« L'art c'est la vie » ne cessait de proclamer Fluxus lorsque Ben rencontra Maciunas en 1963. Ce qui signifiait qu'au-delà de l’œuvre, l'art était partout et qu'il s'associait ainsi au non-art. Vie, art et film s'accordent alors dans ce jeu étrange mais plein de vitalité que cet événement révèle. L'art étant partout, chacun peut en revendiquer une séquence et, à la suite de Duchamp, tout le monde peut se prétendre artiste. Attitude iconoclaste qui, paradoxalement, tout en désacralisant l’œuvre, conduisit parfois à une autre forme d'élitisme. Pourtant ce geste nous permit de prendre conscience que cette énergie de l'art pouvait imprégner tous les actes du quotidien. Ben intervient précisément dans ce champ. Par l'outrance d'une écriture simple et répétitive comme par ses dessins aussi sûrs qu'hésitants, il signe la vie comme performance, dans un style reconnaissable, quotidien et populaire. On n' y décéléra aucune autre vérité que ce doute qui effleure le vivant, cette certitude que rien n'est certain au-delà du flux qui nous emporte.
On y croisera donc quelques célébrités dont Arman, Filiou, Armleder, Yoko Ono ou Combas et de jeunes artistes telles que Anne Laure Wuillai pour sa poésie de l'eau ou Laurie Jacquetty pour ses dessins du quotidien aux traits sensibles. Nous voici plongés dans le bouillonnement de la vie : Cela s'appelle la liberté.




mardi 25 juin 2019

Pablo Reinoso, "Surnature"

Polygone Riviera, jusqu'au 14 octobre



Ce sont ces instants où les objets du quotidien s'évadent de l'espace, le soulignent ou le contrarient, s'emparent d’une autre fonction que celle qu'il leur était assignée ou la transforment pour un autre destin. Des instants ou l'objet et la nature fusionnent ou se distendent pour l' apparition insolite d'une œuvre d'art.
De la nature au surnaturel, n'y aurait-il que le geste de l'artiste ? C'est lui qui, ici, installe ce temps contrarié entre l'agitation d'un lieu et le repos, la contemplation auxquels le promeneur aspire. Le banc est cet objet fonctionnel qui est devenu pour Pablo Reinoso une forme emblématique. Elle est destinée à accueillir le repos du corps, ses rêveries. Mais elle se prolonge par des excroissances enrubannées comme sortant de terre ou bien s'envolant par des lianes aériennes. Le rêve est ainsi fait d'une intériorité inquiète et d'une aspiration à une heureuse élévation solaire.
Les sculptures d'acier peint, si elles se développent souvent à partir de l'ossature du banc, peuvent revêtir d'autres formes toujours en relation à la nature comme dans « La chose », œuvre arachnide, surgissant de terre dans la trouble éclosion du plein et du vide. La sculpture se fait végétale, énigmatique. Elle respire et trouve son autonomie dans l'imaginaire du passant et par la chorégraphie qu'elle déploie dans ses écharpes de lumière et le lieu où elle repose. Ailleurs, posée sur un plan d'eau, « Talk » est cette conversation entre l'acier, l'eau et le ciel. Elle engage à l'échange, à l'inconnu des mots et des choses.
D'essence minimaliste, l’œuvre de l'artiste franco-argentin nous incite à la contemplation. Mais surtout elle impose sa vie intime faite de volutes et de boucles qui élargissent l'objet à d'autres possibles, la projettent vers l'infini de l'espace. Où sont alors les traces de la nature, la multitude d'objets de consommation ? Où sommes- nous dans tout cela ? L’œuvre d'art est toujours une réponse à nos pensées errantes. Pablo Reinoso se confie à nous dans la matière vivante de ses sculptures.




Simon Bérard et Tom Giampieri, "Tirer l'adresse"

Espace à vendre, Nice
                                  Jusqu'au 28 septembre



Deux artistes investissent « le château », c'est à dire la vaste salle dévolue autrefois à un générateur électrique, au bout de la cour de L'Espace à Vendre. Tous les deux sont animés par la recherche expérimentale sur la chimie de la couleur et, si chacun expose ses propres pièces, certaines sont réalisées en commun et témoignent des objectifs similaires qu'ils poursuivent. Mais le fil conducteur de l'exposition se développe à partir d'autres artistes à partir desquels leur réflexion s'est construite. On retrouvera donc dès l'entrée des œuvres de Roland Flexner, John Armleder, Stéphane Steiner et Dominique Figarella qui fournissent une clé de l'exposition en ouvrant le champ de recherche des deux artistes.
Le travail de Simon Bérard est largement citationnel et repose sur l'écart du langage et la manière d'accéder à la couleur. A partit des mots « caille » et « paille », il établit une relation matérielle et chromatique sur des supports variés en relation avec la nature. Par métonymie, un glissement s'effectue entre la caille, la bouche, l’œuf et des images analogues à partir d'haricots pour l'équivalence de forme et de couleur. L'artiste matérialise cet axe en usant de la paille pour la bouche susceptible de projeter le jaune d’œuf sur un support comme pour la technique ancienne du tempera. Et le jeu sémantique se poursuit par l'usage, par exemple, du chou rouge et du citron. Les effets sont surprenants et l'artiste part à la conquête des anciennes techniques en prenant appui sur des images comme détours ironiques de ces procédés.
Tom Giamperi s'intéresse plus directement à la couleur, aux modifications externes qu'elle peut supporter, par exemple par l'intermédiaire des UV. Lui aussi en explore les racines, s'amuse des pigments liés au bois ou au fer. Il y ajoute l'objet qui détourne le processus, la fourchette en plastique. Le dérisoire devient forme. La fourchette surchauffée étale ses fils blancs et trace des lignes qui jouent avec ou en disharmonie avec le fond coloré. Il en résulte une forme de bric à brac coloré ou de rébus plein d'humour. Tout dépend de la crédibilité philosophique qu'on accorde.aux deux artistes Ceux-ci se rejoignent dans certaines pièces ou l'identité de l'un ou de l'autre tend à se confondre quand l’œuvre n'est pas collective. D'ailleurs, comme synthèse de ces pratiques, un atelier miniature est construit comme une serre contenant l'ensemble des matériaux réels ou intellectuels à la base de ces recherches. Il y là quelque chose de sérieux et de malicieux. On s'amuse et on s'interroge sur cette trajectoire hasardeuse. On ne s'ennuie jamais.
« Tirer l'adresse » tel est le titre de l'exposition qui se déploie du sol au plafond quand le postulat de départ renvoie au rhizome qu'évoquait Deleuze. Toutes les pratiques s’enchaînent ainsi sur un axe horizontal comme sur une ligne d’horizon dans l'infini de l’œuvre et de ses repousses. Il suffit d'y croire.

jeudi 20 juin 2019

William Kentridge, "A poem that is not our own"


Loin de Nice...



« Je pratique un art politique, c'est à dire ambiguë, contradictoire, inachevé, orienté vers des fins précises : un art d'un optimisme mesuré, qui refuse le nihilisme. » déclarait William Kentridge. L'artiste sud-africain qui toujours combattit l'apartheid et le colonialisme ouvre superbement la voie à ce que peut être aujourd'hui un art politique. Domine souvent un discours victimaire et manichéen qui exclut toute forme de nuance ou de critique, qui sous couvert d'être la voix de tel ou tel groupe ethnique ou sexuel, impose ce qui toujours a menacé l'art pour se défaire de sa part maudite : la morale et le puritanisme. A ceux-ci, William Kentridge répond par la poésie, dans son expression la plus large, en s'emparant des germes de toutes les intolérances, des incompréhensions et des clivages pour les faire éclore par le biais du dessin, du film animé et bricolé, du théâtre et de la danse.
Adepte d'un art total, il explore le politique en le soumettant aux racines du mal, à son fond caché, à nos rituels et, principalement, à l’histoire de cette Afrique qui n'est écrite que par le colonisateur. L'artiste joue avec brio de tous les rythmes et les figures, parfois découpées en ombres chinoises, s'agitent au fond de la nuit comme des taches de lumière. Les images animées défilent dans la lenteur processionnelle d'un cérémonial. Le présent et le passé interfèrent dans le dessin tracé à traits virulents puis effacé, refait sur ses traces, photographié, puis repris encore sur un journal ou sur du carton. C'est sale et vivant. L'épaisseur du dessin au fusain se déploie comme sur des fresques. Ses découpes tour à tour douces, violentes ou ricanantes n'illustrent rien, elle ne sont que les figurines grotesques d'un rythme incantatoire qui vise à une forme de catharsis pour exorciser les démons de l'histoire, rendre l'écho de l'exil et des migrations. Entre apparition et effacement, tout se joue ici comme pour une métaphore de notre relation au monde.
Né en 1955 à Johannesburg, William Kentridge a été remarqué à la Documenta de Kassel en 1997 . Il a été exposé au Musée du Jeu de Paume en 2010 et au Musée Reina Sofia de Madrid en 2018.

Kunstmuseum, Bâle, jusqu'au 13 octobre 2019


mercredi 19 juin 2019

Rebecca Horn, "Fantasmagories corporelles"


Loin de Nice...

Museum Tinguely, Bâle


Née en Allemagne en 1940, Rébecca Horn avait cette intuition que sa langue natale ne pouvait plus alors parler le monde et qu'il fallait lui substituer un langage plus ouvert, plus universel : l'art. Elle s'exprimera donc par le corps dans une série d'installations et de performances qui s’échelonneront dans le prisme de la relation au manque, à la souffrance ou à l'évasion. La force de ses interventions réside dans le silence émotionnel qu'elle s’octroie, laissant l’œuvre se déployer dans toute son ambiguïté quand elle coïncide tour à tour avec la douceur ou la violence, l'harmonie et le chaos, le corps et la machine.
L'exposition de Bâle « Fantasmes corporels » met l'accent sur l'aspect du corps réduit à une machine s'exprimant notamment par une série de prothèses qui répondent à l'esprit du Musée Tinguely où elles sont présentées. Elle est le pendant d'une autre exposition au Centre Pompidou de Metz, « Le théâtre des métamorphoses » qui met d'avantage l'accent sur la pratique cinématographique de l'artiste. A Bâle, l’œuvre de Rébecca Horn évolue dans les méandres de sa complexité tant elle joue des paradoxes qui la constituent. La légèreté des plumes et des ailes se heurte à la sécheresse des' prothèses mécaniques. L'humain se greffe à l'animalité et à la machine. Tous les scénarios s'écrivent ici à l'ombre des rêves, des cauchemars, des contes de fées ou des mythologies. Tout l'art de Rébecca Horn réside dans cette indifférenciation, dans ces créatures hybrides, dans la multiplicité des pratiques et des matières, images, sculptures, photographies ou films. La poésie est grinçante et l'humour léger. Une beauté maladive transpire de cette univers contaminé par une immense solitude.
Tour à tour dépouillées ou lyriques, les pièces présentées, au-delà de leur aspect obsédant, déploient un champ de créativité très personnel. La richesse de l'expérimentation permet à l'imaginaire de se revêtir des formes les plus inédites. Les œuvres, dans le sillage du surréalisme et du dadaïsme, oscillent entre la tension d'un conte cruel et la légèreté d'un cérémonial initiatique. Les ailes sont omniprésentes. Métaphores d'un envol ou d'une chute, l'artiste les pare de cette incertitude pour une œuvre où chacun se confrontera au miroir d'une part de lui-même.

Jusqu'au 22 septembre 2019




Céleste Boursier-Bougenot, "Liquide, liquide"



Loin de Nice...

Fondation Francois Schneider, Wattwiller
Jusqu'au 22 septembre 2019

Après avoir représenté la France à la Biennale de Venise en 2015, Céleste Boursier-Mougenot écrit une belle histoire d'eau qui se développe du sous-sol jusqu'au toit de la Fondation François Schneider à Wattwiller. Le visiteur est happé par une série de détours qui l'entraîne des profondeurs obscures jusqu'au sommet de l'édifice vers lequel, peu à peu, la lumière converge. Car l'eau est cet élément vivant, vecteur de transparence ou d' opacité, qui absorbe aussi bien les éclats de ciel ou de verre que le sang noir des entrailles de la terre.
Le périple du visiteur se confond ainsi avec une forme d'Odyssée où il s'affronte tour à tour à une mise en scène ténébreuse et à un envol ruisselant de luminosité. L'artiste parvient à construire un espace déroutant, merveilleux, où nos repères sensitifs vacillent et nous enjoignent de reconstituer le fil d'une histoire où nous serions seuls avec des mythes primitifs, des formes imprécises, une beauté parfois aveuglante.
Il y a d'abord ce couloir inondé que l'on arpente dans une obscurité totale. La sonorité d'une onde électrique accompagne bientôt des objets circulaires comme des taches lumineuses sur les murs tandis que nous évoluons à tâtons sur un sol mouvant. Puis nous voici dans une autre salle où un piano seul se déplace dans une lente chorégraphie ponctuée par l'écho de bols qui se heurtent dans un bassin tout proche. A l'extérieur, une étendue de 300m2 pour 20 tonnes de verre de calcin blanc comme une plage de sel et tout le long de ce périple, l'eau qui dévale comme un torrent sur des marches, qui chute du toit et qui écrit ce récit fascinant.
Le spectateur est pris dans une série de dispositifs étranges où tous les sens sont convoqués. Un univers tactile répond à des sonorités imprécises et à des expériences visuelles. Céleste Boursier-Mougenot nous rappelle qu'il est aussi musicien et que pour lui les sons s'associent au bruissement de la nature et du vivant. Mais il est ici surtout le magicien qui joue de l'illusion et sait à merveille détourner le cours normal des choses pour nous inciter à les percevoir autrement.






mardi 18 juin 2019

Alain Fleischer, "L'image qui revient"



Par son implication dans le réel et l'interprétation qu'elle en donne, l'image est une forme de l'imaginaire par lequel nos consciences et le monde se construisent. Alain Fleischer en est le poète. Il use de toutes ses potentialités à partir d'une réflexion sur sa matérialité et sa relation au sensible. Ce jeu s'ouvre alors à toutes les fantaisies pour peu que l'image soit saisie au plus près de sa source chimique, dans le bain de la pellicule là où la figure surgit ou bien dans le négatif qui précède  la projection. Photo, vidéo ou cinéma, tous les dispositifs travaillent à piéger l'image, à la faire parler autrement par le rebond de l'ironie ou de la poésie. Tout est mis en œuvre pour en faire ressortir le caractère illusionniste, non pas à travers une démarche intellectuelle ou théorique mais par le plaisir de l'expérimentation et pour les effets d'émerveillement qu'elle suscite.
Aussi Alain Fleischer décline-t-il dans les salles du Musée de la Photographie des séries d’œuvres très diverses qui illustrent cette « image qui revient » comme l'énonce le titre de l'exposition. Retour aux composants originels de l'image qui, par effet de miroir, proposent un autre regard sur sa construction et ses leurres. Toute une gamme de dispositifs astucieux désorientent le spectateur. Les pales d'un ventilateur mettent l'image en mouvement ou bien, à partir d'un algorithme monstrueux, des cactus ou des canapés se métamorphosent en créations hybrides et s'emparent de l'espace. Ailleurs l'artiste reprend avec sensualité des corps nus féminins de la peinture classique pour les replacer dans un autre contexte et une autre lecture qui, toujours, traquent les pièges de l'image et, par glissement, dévoilent son négatif, un sens inédit, une beauté mystérieuse.
Alain Fleischer s'empare de tous les recoins de l'imaginaire et de nos mythologies pou réinventer la vie. Il aime le risque, l'aventure et pour lui, le ratage même, peut se muer en miracle. Il exacerbe un clair obscur par des éclats de lumière ou des ciels ténébreux, il se refuse à de plates superpositions d'images mais ne répugne pas à projeter celles-ci sur un corps pour qu'elles s'enlacent au vivant dans un récit fascinant. Tout à la fois, photographe, cinéaste et écrivain, l'artiste défriche ses rêves en inventant de nouveaux mécanismes, en ne s'interdisant rien. Le poète reste celui qui explore les terres inconnues. 


Musée de la photographie, Nice                                  Jusqu’au 29 septembre 2019

vendredi 14 juin 2019

"Libérer la couleur", Claude Viallat à la Venet Foundation



Ce supplément d'âme qui auréole une œuvre tient souvent au lieu qui l'accueille. La Fondation Venet au Muy dans le Var se déploie dans la perfection des cinq hectares d'un parc lumineux traversé par les courbes fraîches de l'Argens, son moulin où réside l'artiste, les bâtiments industriels pour des œuvres toujours renouvelées de Bernar Venet et une galerie contemporaine pour l'exposition temporaire estivale.
La nature se vit ici comme la création d'un artiste qui a su en extraire les lignes et les couleurs en écho à son propre travail sur la matière, l'acier, la rouille et le gigantisme associé à cette tension vers l'absolue pureté du minimalisme. A l'instar d'un jardin japonais, chaque arbre, chaque sculpture s'élève alors dans la majesté d'un signe. La chapelle créée par Franck Stella en 2014 pour l'inauguration de la Fondation répond harmonieusement par ses courbes aux angles et aux lignes droites de la Galerie qui, cet été, rend hommage à l’œuvre de Claude Viallat.
 Ce dépouillement visuel, ces seuls repères chromatiques du blanc et du noir comme réponses à l'immensité verte de la nature permettent aux œuvres d'exprimer toute leur intensité. On y trouve la plus importante collection d'art conceptuel et minimal avec de vastes installations de James Turell dont l'une ouvre un oculus éliptique sur le ciel pour un hymne vibrant à la lumière. Les œuvres de Donald Judd, Dan Flavin ou de Sol LeWitt, cette année si présentes à Art Basel, parsèment la propriété où l'on croisera celles d'Arman, de Robert Morris, de Tony Cragg et de tant d'autres parmi les « lignes indéterminées » des sculptures de Bernar Venet.
Cet été, la couleur est célébrée à travers l’œuvre de Claude Viallat. L'exposition présente une vingtaine de peintures réalisées sur des bâches militaires à partir de 1980 jusqu'à ces dernières années. Des pièces monumentales où l'artiste décline sa propre grammaire dans son regard sur l'équilibre et la qualité de la matière, l'apparition d'une forme arbitraire qui absorbe tout à la fois la couleur et en délimite les contrastes comme pour une lecture radicale des fenêtres et découpes de Matisse. La couleur triomphe et, de sa seule puissance, un espace matériel s'organise à travers des coutures, des plis et des cordages. Les œuvres se dressent comme pour déchirer l'espace et en extraire l'essence. Elles se proclament dans leur stricte évidence comme si elles apportaient à ce lieu la magie de la couleur pour répondre à la perfection d'un espace, d'une architecture et d'une nature sereine où l'art pourrait éclore en toute liberté.

Exposition jusqu'au 13 septembre 2019






samedi 25 mai 2019

Le diable au corps. Quand l'Art Optique électrise le cinéma.




Il y eut cet instant où, dès le milieu des années 50, l'art s’empara de la rue, du quotidien et des signes d'une société engoncée dans les illusions du progrès technologique de l'après-guerre. Si, par le biais de l'accumulation et de la destruction, les artistes du Nouveau réalisme mettaient en cause les fondements de cette société, les artistes de l'0p art et du Cinétisme la glorifieront au contraire en se diffusant dans le luxe, la mode, le cinéma et le glamour du papier glacé. Et à ce que Restany qualifiait « d'une aventure de l'objet » pour le Nouveau Réalisme, l'Optical art répondra par les effets subjectifs produits chez le spectateur. Le MAMAC remet aujourd'hui  ce mouvement en perspective pour en  faire émerger les aspect contradictoires, la relation de la technique et du corps et celle de l’intellect et des sensations.
« Le diable au corps », titre de l'exposition, ne se rapporte pas tant à cet art marqué par une abstraction limitée d'abord au noir et blanc, à des figures géométriques sur des surfaces planes que par les effets de déséquilibre qu'il produira sur le public. Il trouvera toute sa force dans des effets psychologiques et, parallèlement, par l'incidence du mouvement, des jeux de lumières et des structures labyrinthiques de l'Art Cinétique.
C'est ainsi que le cinéma s'en saisira pour traduire les transes érotiques, le trouble du vertige et des artifices. Poussées aux limites de l'humour et de la dérision chez Lautner dans « L’œil du monocle » ou à celles d'un kitch naïf chez Demy dans « Les demoiselles de Rochefort » les influences de ce mouvement artistiques sont particulièrement soulignées ici. La mode ne sera pas en reste avec les robes métalliques de Paco Rabane de même que les danseuses du Crazy Horse se lovent-elles dans les sinuosités lumineuses des projecteurs.
D'emblée cet art se revendique illusionniste et rétinien. Chez Vasarely le plan du tableau s'anime au gré des cercles et des damiers saisis dans des convulsions pour des effets d'anamorphoses. Le point de vue du spectateur est constamment sollicité. Celui-ci doit s’immerger dans l’œuvre, son corps se déplace autour des volumes transparents de Soto ou d'Yvaral dans une pluie de fils de néon ou de tiges de métal. Il se heurte aux labyrinthes colorés de Cruz-Diez. L'espace se dilate et se contracte tour à tour et invite à une expérience physique.
 De tout cela ne faut-il retenir que le chic et le toc ou bien comprendre les enjeux d'un tel mouvement? Parmi ses initiateurs, le GRAV (Groupe de recherche d'Art Visuel) déclarait dans son manifeste en 1963: «Nous voulons intéresser le spectateur, le sortir des inhibitions, le décontracter... » A cette volonté libératrice et ludique, Morellet ajoute une dimension plus intellectuelle en déclarant que le résultat l'intéresse moins que le système lui-même. Les règles auxquelles il se soumet se teintent d' ironie et peuvent rappeler l’écriture de Pérec. Pour les autres de l'ironie, il y en eut peu. La fascination technologique désormais peut sombrer dans la nostalgie du vintage. Ou, pour parler autrement, les situationnistes, qui à la même époque agissaient dans l'ombre, auraient pu dire qu'entre le spectaculaire et sa dénonciation il ne restera que le spectacle de la dénonciation.
  
MAMAC, Nice.  Exposition  jusqu'au 29 septembre 2019



jeudi 23 mai 2019

Nice, Cinémapolis


Voici une exposition où tout se présente en plans et séquences, où le cinéma se contemple dans le développement d'une ville à partir de la fin du XIXe siècle. « Nice, cinémapolis » est ce récit d'une rencontre entre la lumière d'une ville, sa géographie, son activité touristique et l'apparition d'un art nouveau, le cinéma. 123 années de cette histoire à Nice sont ici relatées. En 1896 les Frères Lumière s'installent dans la ville. Le carnaval et les événements mondains sont autant d'images que le visiteur souhaite alors conserver. Les techniques s’affinent à une vitesse fulgurante. Très vite le cinéma s'impose comme un vecteur économique déterminant avec l’apparition de nombreux studios de production, Pathé, Gaumont, et certains plus modestes, dispersés dans de simples villas jusque dans l'arrière pays. Les reportages laissent peu à peu la place à des fictions, on y créée des décors gigantesques, il y faut des costumes, des stars et des figurants par centaines. Les salles de cinéma se multiplient.
Cette aventure palpitante est ici relatée comme dans un travelling chronologique à partir d'objets rares - les premiers appareils destinés à la fois à l'enregistrement et à la diffusion du film, des documents, des affiches, des photographies. En 1919 naissent les studios de la Victorine. Tout l'imaginaire d'une époque s'y construit, fantasmes d'une sensualité orientaliste, poésie sociale, folies et angoisses de l' avant-guerre. Nice est alors une ville cosmopolite où russes et américains se croisent. Un tourisme luxueux se diffuse sur la Promenade des Anglais et côtoie le Vieux Nice et un peuple attaché à son identité méditerranéenne. A la même époque, se construisent le Casino ou le Négresco...
Ce centième anniversaire de la Victorine est un hommage au cinéma, ponctué par un rappel aux films culte qu'on y tourna, Les enfants du Paradis ou La nuit américaine. Comme si ce dernier était un clin d’œil vers cet autre espace si proche et si lointain, là où en parallèle, sur les collines d'Hollywood et de Californie, au début du XXe siècle une même histoire se construisait.   Nice, Cinémapolis » est ce point de rencontre du réel et de l'imaginaire, jonché de toutes les espérances et de tous les drames de l'histoire. L'exposition se développe dans une scénographie lumineuse ; on va de découverte en découverte, le fil du temps s'ouvre à d'autres perspectives : Cent ans après, les Studios de la Victorine entament leur renaissance. Le voyage dans le temps continue.

Musée Masséna, Nice
Exposition du 17 mai au 30 septembre 2019