Galerie Eva Vautier, du 2 juin au 28 juillet 2018
L'image est tellement voilée qu'elle exhibe impudiquement ce qu'elle
cache. Ou bien semble-telle surexposée au point de désigner cet
au-delà de l'image, ce que la pensée superpose à l'essoufflement
du sens qui agit dans le flou du dessin.
Autant dire que
chez François Paris l'image n'est jamais nette. Non seulement
parce qu'elle participe d'un trouble mais surtout parce qu'elle naît
et oscille de cette hésitation entre son origine et son
aboutissement. Comme dans un film où les séquences se figent ou
s'accélèrent, l'image semble alors amputée de son contexte ; elle
se révèle dans la solitude d'un cadrage qui la corsète, elle n'est
qu'un hoquet dans la respiration d'un récit que le dessinateur
étrangle pour en faire jaillir toute la dramaturgie.
Le dessin de
François Paris se défie de la ligne et de ses contours. Le graphite
se dépose sur le papier dans une brume qui, tour à tour, figure des
reflets humains ou matériels, les absorbe, se dissipe ou s'épaissit.
L'image reste en suspension dans le temps. Mouvante, elle se refuse à
tout contexte ; elle demeure fragmentaire, accidentelle, comme si la
vie qu'elle désignait participait elle-même de la mémoire d'une
catastrophe informulable. Souvent l'artiste dessine des éléments
d'automobiles saisis dans le mouvement des plans cinématographiques.
Freinage, accélération, choc soudain, toute l'imagerie de François
Paris se fige dans cette collision du temps et de l'espace.
Et qu'il dessine des personnages,
ceux-ci seront traités dans ce même registre qui défie les lois de
la synchronie, de l'harmonie, de la cohérence entre leur apparence
et le contexte qu'ils seraient supposés illustrer. Car François
Paris est le contraire d'un illustrateur. Il ne s'intéresse ni à la
description d'un événement ni même à la formulation d'une idée.
Il ne s'attache pas même aux brides d'un récit mais il fouille sans
concession l'origine trouble de l'image comme si celle-ci en
elle-même était contaminée par la menace de son effacement. Chacun
de ses dessins semble flotter dans cet équilibre précaire menaçant
les silhouettes qui échouent à s'agripper aux berges du réel. Les
visages sont absents, les regards se refusent à l'aveuglante lumière
du monde. Ou bien cette lumière ne serait-elle pas celle des spots
d'un film de série B à laquelle notre existence nous condamnerait ?
Il dessine d'une voix blanche, aux
lisières d'une douleur inexprimable, tapie dans l'ailleurs de
l'image. Celle-ci en est l'écho. A chacun d'y déposer sa propre
histoire, d'y conjurer ses cauchemars, de s'y glisser ou de vouloir
s'en extraire. Le dessin reste ici cet espace neutre pour un récit
dévitalisé, ouvert à tous les possibles. Mais on peut dire aussi
que tout n'est que cinéma. Que l'image n'est qu'un travestissement
de la réalité. Mais que cette image-là produit aussi du réel.
Elle porte les stigmate de ses blessures, le réconfort de ses
cicatrices. Les traits du crayon, sous la ouate apparente du trouble,
cisaillent, couturent, définissent les zones incertaines de
l'angoisse ou du simulacre.
Car
nulle vérité, nulle certitude n'émane de ces dessins. Seuls y
circulent les fragments d'un puzzle qui restituent des éléments de
cadrages serrés ou d'angles de vue vertigineux. Les personnages,
privés de toute psychologie, sont figés dans un état dont la
dramaturgie restera le véritable enjeu du récit. Mais celle-ci
demeure dans un hors-champ qu'il nous appartient d’imaginer. C'est
bien cette extériorité de l'image que François Paris ne cesse de
désigner.
Le trait est absent, la tache du dessin
recouvre le papier comme une flaque de pigment sombre. Parfois
pourtant la couleur surgit et le dessin absorbe alors cette
hésitation vers la peinture. Car l'artiste, d'une œuvre à l'autre,
joue de ces déplacements multiples qui sont autant de collisions de
sens. Il peint la stupéfaction face à ce chaos initial dont
l'artiste restitue décombres et débris. Ceux- ci qu'il nous
appartient de saisir pour en percevoir l'écho car nous en demeurons
les témoins et les acteurs. Ce chaos pétri d'une beauté dangereuse
hante chacune de ces œuvres et ne se dévoile que dans les coulisses
de l'image.
La Strada, N°296
La Strada, N°296