dimanche 24 juin 2018

Matisse & Picasso, "La comédie du Modèle"

Musée Matisse, Nice, du 23 juin au 29 septembre 2018

                                            Matisse, Jeune fille en blanc, fond rouge, 1946


Chacun savait qu'il était le plus grand mais en même temps jalousait le génie de l'autre. Pourtant, au-delà de cette rivalité, les deux hommes entretenaient une relation féconde, tissée d'influences mutuelles et parfois de signes discrets où l'un rendait hommage à l'autre. De ce dialogue qui s'instaure entre les œuvres de Picasso et celles de son aîné, Matisse, naît cette exposition dont il faut saluer l'intelligence de la présentation ainsi que la qualité exceptionnelle des œuvres présentées.
Ce dialogue aurait pu se limiter à une confrontation entre la virulence méditerranéenne de Picasso et le nord plus retenu de Matisse si celui-ci, dans la découverte du sud ne s'était engagé dans une simplification de l'espace par une utilisation radicale de la couleur. C'est donc  aussi ce sud-là qui se trouve glorifié au sommet de la colline de Cimiez au Musée Matisse.

Matisse commença sa carrière dans l'atelier de Gustave Moreau et l'on sait combien celui-ci insistait d'avantage sur l'esprit plutôt que sur la seule habileté de la main. Mais il fallut que plus tard il rencontrât la Méditerranée pour qu'il s’imprégnât de ses couleurs chaudes auxquelles Picasso adjoignit l'intensité du corps. A travers la « comédie du modèle » c'est bien cette relation au corps qui apparaît au cœur de la préoccupation des deux artistes. Corps bestial et dionysiaque chez Picasso, corps apollinien et apaisé chez Matisse. Le titre de l'exposition, emprunté à Aragon dans « Henri Matisse, roman » nous entraîne déjà dans le sillage de cette histoire ambiguë, faite d'admiration mutuelle et de rivalité, qui nous est racontée ici en quatre sections dont chacune illustre une modalité particulière du rapport de l'artiste à son modèle.
« Projeter » inaugure ce parcours et nous montre que la peinture n'est plus simplement une question de regard mais qu'elle engage la totalité du corps et des sens. Et que le corps du modèle répond à celui de l'artiste et qu'il entre en résonance avec qui le regarde. Fascinante mise en abyme qui se décline en particulier sur deux superbes tableaux, « L'artiste et son modèle » d’Henri Matisse en 1921 et Pablo Picasso « Peintre à la palette et au chevalet » en 1928.
« Transformer » insiste sur la façon dont ces deux artistes vont s'affranchir des règles de la représentation anatomique, en particulier par l'influence des arts primitifs, et comment en dépit d'un cheminement inverse, ils se rencontreront dans l'idée d'une métamorphose florale, la « femme-fleur » chez Picasso et l'univers végétal comme cadre du corps chez Matisse.
 Une autre section, « Convoiter », met en scène le désir, le rêve ou la réalité du corps, le modèle ou la muse. La figure de l'odalisque sera peut-être ce point de confluence pour les deux artistes. Celle-ci se retrouve dans le dernier épisode de cette scénographie, « Posséder », qui met l'accent sur cette lutte d'angles et de courbes que l'un privilégie à l'autre, une lutte faite d'étreintes dans l'écho de la mythologie, des nymphes et des faunes. C'est peut-être là que la personnalité des deux artistes s'exprime avec le plus de sincérité dans ce qui les rapproche et ce qui les oppose.
Ce ne sont pas moins de cent-vingt œuvres qui nous sont ici présentées. Des peintures, sculptures et dessins soutenus par des documents révélant les artistes dans leur environnement , en particulier des photographies de Brassaï, Cartier-Bresson, Lucien Clergue... Voici donc un événement rare. Sans doute l'exposition de l'été à Nice!

La Strada, N° 298

      Picasso, Peintre à la palette et au chevalet, 1928 


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