lundi 25 juin 2018

François Paris, "La conjoncture du hasard"


Galerie Eva Vautier, du 2 juin au 28 juillet 2018

  L'image est tellement voilée qu'elle exhibe impudiquement ce qu'elle cache. Ou bien semble-telle surexposée au point de désigner cet au-delà de l'image, ce que la pensée superpose à l'essoufflement du sens qui agit dans le flou du dessin.
Autant dire que chez François Paris l'image n'est jamais nette. Non seulement parce qu'elle participe d'un trouble mais surtout parce qu'elle naît et oscille de cette hésitation entre son origine et son aboutissement. Comme dans un film où les séquences se figent ou s'accélèrent, l'image semble alors amputée de son contexte ; elle se révèle dans la solitude d'un cadrage qui la corsète, elle n'est qu'un hoquet dans la respiration d'un récit que le dessinateur étrangle pour en faire jaillir toute la dramaturgie.

Le dessin de François Paris se défie de la ligne et de ses contours. Le graphite se dépose sur le papier dans une brume qui, tour à tour, figure des reflets humains ou matériels, les absorbe, se dissipe ou s'épaissit. L'image reste en suspension dans le temps. Mouvante, elle se refuse à tout contexte ; elle demeure fragmentaire, accidentelle, comme si la vie qu'elle désignait participait elle-même de la mémoire d'une catastrophe informulable. Souvent l'artiste dessine des éléments d'automobiles saisis dans le mouvement des plans cinématographiques. Freinage, accélération, choc soudain, toute l'imagerie de François Paris se fige dans cette collision du temps et de l'espace.

Et qu'il dessine des personnages, ceux-ci seront traités dans ce même registre qui défie les lois de la synchronie, de l'harmonie, de la cohérence entre leur apparence et le contexte qu'ils seraient supposés illustrer. Car François Paris est le contraire d'un illustrateur. Il ne s'intéresse ni à la description d'un événement ni même à la formulation d'une idée. Il ne s'attache pas même aux brides d'un récit mais il fouille sans concession l'origine trouble de l'image comme si celle-ci en elle-même était contaminée par la menace de son effacement. Chacun de ses dessins semble flotter dans cet équilibre précaire menaçant les silhouettes qui échouent à s'agripper aux berges du réel. Les visages sont absents, les regards se refusent à l'aveuglante lumière du monde. Ou bien cette lumière ne serait-elle pas celle des spots d'un film de série B à laquelle notre existence nous condamnerait ?

Il dessine d'une voix blanche, aux lisières d'une douleur inexprimable, tapie dans l'ailleurs de l'image. Celle-ci en est l'écho. A chacun d'y déposer sa propre histoire, d'y conjurer ses cauchemars, de s'y glisser ou de vouloir s'en extraire. Le dessin reste ici cet espace neutre pour un récit dévitalisé, ouvert à tous les possibles. Mais on peut dire aussi que tout n'est que cinéma. Que l'image n'est qu'un travestissement de la réalité. Mais que cette image-là produit aussi du réel. Elle porte les stigmate de ses blessures, le réconfort de ses cicatrices. Les traits du crayon, sous la ouate apparente du trouble, cisaillent, couturent, définissent les zones incertaines de l'angoisse ou du simulacre.

Car nulle vérité, nulle certitude n'émane de ces dessins. Seuls y circulent les fragments d'un puzzle qui restituent des éléments de cadrages serrés ou d'angles de vue vertigineux. Les personnages, privés de toute psychologie, sont figés dans un état dont la dramaturgie restera le véritable enjeu du récit. Mais celle-ci demeure dans un hors-champ qu'il nous appartient d’imaginer. C'est bien cette extériorité de l'image que François Paris ne cesse de désigner.
Le trait est absent, la tache du dessin recouvre le papier comme une flaque de pigment sombre. Parfois pourtant la couleur surgit et le dessin absorbe alors cette hésitation vers la peinture. Car l'artiste, d'une œuvre à l'autre, joue de ces déplacements multiples qui sont autant de collisions de sens. Il peint la stupéfaction face à ce chaos initial dont l'artiste restitue décombres et débris. Ceux- ci qu'il nous appartient de saisir pour en percevoir l'écho car nous en demeurons les témoins et les acteurs. Ce chaos pétri d'une beauté dangereuse hante chacune de ces œuvres et ne se dévoile que dans les coulisses de l'image.

La Strada, N°296


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire