« Zéro,
l'infini », un titre qui suggère un espace purement
imaginaire, des limites impossibles au-delà desquelles la vision ne
saurait accéder. C'est pourtant ce concept , dans sa radicalité,
qui introduit ici du réel dans toute l'exactitude d'un travail
photographique.
Ce
concept s'articule au temps du corps et au rythme de marches
incessantes puisque Eric Bourret se saisit de l'image au fur et à
mesure qu'il traverse les zones troubles d’un no man 's land. Jour
après jour, inlassable, il arpente les sentiers de l'infini, la mer,
le ciel, la neige, la montagne. Et le « zéro »,
peut-être, se love-t-il dans ce point aveugle de la réalité que
l'objectif du photographe ne cesse de fouiller pour en extirper
l'essence profonde, la poussière primitive. Le marcheur ne piétine
pas le paysage, il l'affleure. Il en extrait les traces, les dépôts
d'inscriptions comme les effacements. Il absorbe l'espace en fonction
du temps qui l'organise. L’œuvre est un carnet de notes, un
journal sur lequel, de façon presque musicale, s'inscrivent sur le
thème de la nature, des vibrations visuelles, des pulsations
sensibles.
A
mi chemin entre abstraction et figuration, ces photographies parlent
aussi de dessin et de peinture ; quelque part entre Richter et
Richard Long, se joue une aventure personnelle, celle d'un hiatus
sur l'incertitude entre la photographie et la peinture , celle d'une
immersion dans l'espace, d'une performance différée et de sa
restitution dans une œuvre matérielle. Il en résulte des séries
très contrastées, les unes accusant le relief de ce qu'elles
figurent mais avec une telle saturation de détails qu'elles annulent
tout effet de perspective. Les autres, au contraire, désignent des
aplats, des monochromes ou des noirs et blancs quand la prise de vue
en couleur restitue une gamme de gris très subtils. L'image procède
d'un tremblement et d'une incertitude : l’œuvre respire et
délivre, par son minimalisme, l'énergie physique qui la porte.
Rien de mécanique dans cette rencontre de l'appareil
photographique et d'une expérience proche du Land Art. Aucune
distance entre l'image et celui qui la porte dans le temps et en
incarne la durée. L'imprégnation de l'artiste dans la nature est
une interrogation muette. L'appareil photo, la pensée, l'expérience
sont les prothèses du corps. Les photographies d'Eric Bourret
restituent ce frémissement d'une figuration et d’une réalité en
gestation en même temps qu'elles suggèrent l'essoufflement de toute
représentation.
Michel Gathier, La Strada, N°292
Michel Gathier, La Strada, N°292
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