mardi 17 avril 2018

Eric Bourret, "Zéro, l'infini"


« Zéro, l'infini », un titre qui suggère un espace purement imaginaire, des limites impossibles au-delà desquelles la vision ne saurait accéder. C'est pourtant ce concept , dans sa radicalité, qui introduit ici du réel dans toute l'exactitude d'un travail photographique.
Ce concept s'articule au temps du corps et au rythme de marches incessantes puisque Eric Bourret se saisit de l'image au fur et à mesure qu'il traverse les zones troubles d’un no man 's land. Jour après jour, inlassable, il arpente les sentiers de l'infini, la mer, le ciel, la neige, la montagne. Et le « zéro », peut-être, se love-t-il dans ce point aveugle de la réalité que l'objectif du photographe ne cesse de fouiller pour en extirper l'essence profonde, la poussière primitive. Le marcheur ne piétine pas le paysage, il l'affleure. Il en extrait les traces, les dépôts d'inscriptions comme les effacements. Il absorbe l'espace en fonction du temps qui l'organise. L’œuvre est un carnet de notes, un journal sur lequel, de façon presque musicale, s'inscrivent sur le thème de la nature, des vibrations visuelles, des pulsations sensibles.
A mi chemin entre abstraction et figuration, ces photographies parlent aussi de dessin et de peinture ; quelque part entre Richter et Richard Long, se joue une aventure personnelle, celle d'un hiatus sur l'incertitude entre la photographie et la peinture , celle d'une immersion dans l'espace, d'une performance différée et de sa restitution dans une œuvre matérielle. Il en résulte des séries très contrastées, les unes accusant le relief de ce qu'elles figurent mais avec une telle saturation de détails qu'elles annulent tout effet de perspective. Les autres, au contraire, désignent des aplats, des monochromes ou des noirs et blancs quand la prise de vue en couleur restitue une gamme de gris très subtils. L'image procède d'un tremblement et d'une incertitude  : l’œuvre respire et délivre, par son minimalisme, l'énergie physique qui la porte.
Rien de mécanique dans cette rencontre de l'appareil photographique et d'une expérience proche du Land Art. Aucune distance entre l'image et celui qui la porte dans le temps et en incarne la durée. L'imprégnation de l'artiste dans la nature est une interrogation muette. L'appareil photo, la pensée, l'expérience sont les prothèses du corps. Les photographies d'Eric Bourret restituent ce frémissement d'une figuration et d’une réalité en gestation en même temps qu'elles suggèrent l'essoufflement de toute représentation.

Michel Gathier, La Strada, N°292

Espace à vendre, Nice, jusqu'au 18 juin 2018






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