« Lumière
noire » pourrait être le signe tutélaire d'une œuvre quand
la matière - le cuir ou le fer - se heurte à son envers, le vide.
Cette lumière qui tour à tour sculpte et déchire le réel pour
dire la violence du monde. Celle-ci qui, bien sûr, par de tortueux
détours, se parerait des atours d'un décorum brutal voire d'un
esthétisme de mauvais aloi s'il n'était validé par une histoire de
l'art avec ses néons, la légèreté de Dan Flavin, l'ironie de
Morellet, le langage de Bruce Nauman et de tant d'autres...
Violence et cruauté, donc, dans le sens d'Antonin Artaud :
celui d'un théâtre et de ses ombres, de ses mots claquant à la
figure du monde pour ne proclamer que son étouffement. Et qu'en
résulte-t-il sinon des épaves, des lumières fausses, blafardes,
surjouées, comme si l'art à cet instant étranglait le sens de ce
qui devait s'énoncer mais que cette fausse lumière, implacablement,
rejetait ces mots-là et leur contexte dans ce trou primordial dont
ils voulaient s'extraire ? Cette lecture, sombre et sèche, on peut la ressentir dans l’œuvre
de Florence Cantié-Kramer. Violence. Combat. Communication
impossible des mots et des choses, de l'ombre et de la lumière,
comme crispés dans le nerf d'un syntagme illuminé, indifférents
au cuir sombre d'une peau morte.
L’œuvre est belle, trop belle sans doute, comme si elle
s’agrippait à une matérialité qu'elle refuse. Elle prend alors
le parti de la lumière qui jaillit dans la forme d'un graffiti ou
d'un néon qui se consumerait en elle. C'est là toute la force du
balbutiement d'un signe, d'une pulsion, de pouvoir s'exprimer dans ce
filament ô combien fragile de la forme et du sens. L'artiste
parvient pourtant à en esquisser une histoire, à semer des
mots-blasons, « real, heroes, whynot … » Trop
lus, trop vus, déjà si loin dans la digestion ou la disparition des signes ?
Mais l'artiste y donne ses coups de poing sur son punching ball
lardé d'éclats de verre ; et ce verre est ailleurs un miroir
même pour des mots comme les membres amputés d'un récit qui se refuse.
Un drapé de cuir neutre déverse les vestiges du mot « cupo »,
en italien, qui signifie « sombre » quand sa forme est un rappel du bœuf écorché de Rembrandt et de Soutine. Ailleurs des
des anneaux lumineux s’accrochent à des chaînes. Tout est donc histoire de lacération, d'équilibre brisé et de perte de sens. Ici
les mots sont privés de toute référence, ils ne sont qu'un écho, "le son de la lumière", Le silence? A moins qu'iIs ne soient plus que le signe de ce vide qui
désigne la violence. Violence et lumière. Blessure dans le
jaillissement de la pensée. L'être et le néon et la brûlure de la
nuit. Et ces objets qu'on devine dans le demi jour de la torture et
du plaisir, de ces pages étouffées par des mots qui les broient.
Florence Canté-Kramer les transforme en visible mais ces mots-là
persistent à vibrer frénétiquement comme des nerfs à l'état vif.
Le
langage c'est du corps. La lumière est ce langage. Morte ou vive,
elle est saisie par ce scanner impitoyable qui dit le monde en le
traduisant par découpes. Le réel a disparu, il n'en subsiste que sa
traduction. Et si l'art aujourd'hui en était le vestige?
Galerie Helenbeck, Nice, du 13 juin au 1 septembre 2018