Fondation
Maeght,
Jusqu'au
8 mars 2020
Toute peinture évolue dans une ambiguïté, se
dépeindre ou peindre le monde. Et lorsqu'elle est à son sommet,
elle se saisit de ce poids existentiel qui déroute le regard,
aiguillonne la conscience jusqu'à la brûlure, pulvérise toute
certitude pour les perspectives d'un monde oscillant entre poussière
et incandescence. Un grand peintre est toujours celui qui travaille
dans ces interstices, dans l'ombre du doute pour extraire la
lumière ; et que ceux qui vilipendent aujourd'hui la peinture
sachent que celle de Ra'anan Levy dévalue à elle seule l'indigence
des formes ou les jets inutiles de couleur molle quand la peinture
n'est plus ce glorieux face à face de l'artiste avec le monde.
Celui-ci, pour reprendre le titre de l'exposition, doit être soumis,
comme aussi le peintre, à l' « épreuve du miroir ».
Ra'anan
Levy bien qu'il exposât dans des lieux prestigieux, ne fut connu en
France que lors de sa rétrospective au Musée Maillol en 2006. Il
est vrai que sa peinture recèle bien des mystères et qu'au-delà
d'une parfaite maîtrise de son art, le peintre joue avec merveille
de son ambiguïté. D'un jeu de miroir, tel un palais de glaces, il
brouille les perspectives, superpose les reflets, traque l'absence
qu'il recèle comme pour convoquer le souffle d'un conte ou d'âmes
assoupies. Dans ce labyrinthe de lignes, d'ombres et d'éclats,
l'humilité de la couleur s'impose comme pour conjurer la hantise
d'une catastrophe. Le fil est ténu, il ne se brise pas, il s'insère
de la toile vers des fenêtres aux yeux défaits, des portes qui
claquent dans le vide et baillent de silence et de solitude.
L'espace se tend et, d'un ciel invisible, il pleut du givre. Dans la
distance du miroir, l'infini se ploie et nous absorbe dans ses
couches d'huile et de pigments.
Parmi
les flux et reflux du temps, l'image alors se compose, la mémoire
remonte à la surface de la toile. Parfois une couleur plus vive
ranime une vie secrète, l'intimité des pots de peinture qui
s'exposent dans la nudité d'une nature morte. Pourtant ils déferlent
tel un fleuve et explosent pour rendre vie au monde. Ailleurs ce sont
des torrents de livres arrachés aux hommes qui se déversent sur nos
consciences comme pour nous alerter d'une menace sourde. La peinture
de Ra'anan Levy excelle à figurer cet entre-deux, ce déséquilibre,
ce tremblement entre le plein et le vide. Il y a aussi ces eaux
fortes, ces autoportraits, cette autre face du miroir où se joue la
scène du double et d'une vérité impossible. Le miroir ne se
traverse pas, il est une épreuve. Seule la distance se mesure à
lui, à rebours du temps, en aval de toute destinée. Dans les œuvres
graves et lumineuses du peintre, nous nous regardons, sans concession
aucune, confiants dans cette peinture qui ne ment pas car elle nous
révèle.