samedi 7 décembre 2019

« Charlotte Pringuey-Cessac, « Bruit originaire »




A l'origine, Charlotte Pringuey-Cessac est dessinatrice. Mais elle dessine et désigne cette origine-là, dans l'exploration même du dessin et de ce fond sous-terrain de la préhistoire au deçà de notre mémoire, dans ce temps que la science et la paléontologie peuvent seulement encore sonder. A ces relevés, outils de pierre ou ossements, il faut pourtant ajouter cette part d'imaginaire pour reconstituer non seulement des fragments de réel mais aussi ce que furent les rites et les rêves de ces hommes échoués dans une brume lointaine.
Pour les traduire, autant reprendre le charbon de bois qui fut l'instrument du dessin à son origine à moins qu'il ne fût déjà le souffle d'une écriture. Une ligne mélodique chargée de cette cendre, mais aussi de poésie et de science, traverse ce parcours sur deux musées de Nice, Le Musée de la Préhistoire Terra Amata et le MAMAC où le passé et le présent s'observent dans un fascinant jeu de miroir. Pour la poésie, il y a cette expression empruntée à Rainer Maria Rilke, celle d'un « bruit originaire », quand le réel perdu se matérialise en onde sonore et, paradoxalement, en chose « inouïe », « mettre en son les signatures innombrables de la création qui durent dans le squelette, dans la pierre... ». L'artiste crée alors, à partir de relevés scientifiques sur le cerveau humain, l'empreinte d'un crâne près duquel est diffusé ce bruit originaire. Entre ces univers disparates, quelque chose de sensible se construit, un langage déroutant, dans la trame du visible et de l'invisible.
Mais c'est pourtant dans la ligne même du dessin, c'est à dire dans l'élaboration d'un espace, que tout se joue. Le dessin, le noir et blanc où tout se cristallise ici, prennent en charge matière et objets. Ainsi, quand le travail de l’archéologue consiste à agir dans les profondeurs, celui de l'artiste est au contraire ascensionnel. Pour l'illustrer, elle crée des murs d'escalade fait d'outils préhistoriques moulés ici dans du béton ou là dans de la porcelaine avec ses faces brillantes ou opaques. De subtiles modulations de lumière se créent alors comme ces fins filaments de verre évoquant le tremblement d'une onde sonore ou celui de l'ébauche d'un langage perdu ou à venir. L’œuvre est troublante parce qu'elle dépasse les frontières de l'espace et du temps comme une plongée dans un songe romantique. Il faut la lire aussi comme une méditation sur notre propre approche du monde: L'art, la science, la poésie... Que nous disent-ils de ce que nous sommes aujourd'hui ?

Musée de Préhistoire Terra Amata et Galerie contemporaine du MAMAC, Nice, jusqu'au 17 mai 2020.




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