A l'origine, Charlotte
Pringuey-Cessac est dessinatrice. Mais elle dessine et désigne cette
origine-là, dans l'exploration même du dessin et de ce fond
sous-terrain de la préhistoire au deçà de notre mémoire, dans ce
temps que la science et la paléontologie peuvent seulement encore sonder. A
ces relevés, outils de pierre ou ossements, il faut pourtant ajouter
cette part d'imaginaire pour reconstituer non seulement des fragments
de réel mais aussi ce que furent les rites et les rêves de ces
hommes échoués dans une brume lointaine.
Pour les traduire, autant
reprendre le charbon de bois qui fut l'instrument du dessin à son
origine à moins qu'il ne fût déjà le souffle d'une écriture. Une
ligne mélodique chargée de cette cendre, mais aussi de poésie
et de science, traverse ce parcours sur deux musées de Nice, Le Musée
de la Préhistoire Terra Amata et le MAMAC où le passé et le
présent s'observent dans un fascinant jeu de miroir. Pour la poésie,
il y a cette expression empruntée à Rainer Maria Rilke, celle d'un
« bruit originaire », quand le réel perdu se matérialise
en onde sonore et, paradoxalement, en chose « inouïe »,
« mettre en son les signatures innombrables de la création qui
durent dans le squelette, dans la pierre... ». L'artiste crée
alors, à partir de relevés scientifiques sur le cerveau humain,
l'empreinte d'un crâne près duquel est diffusé ce bruit originaire. Entre ces univers disparates, quelque chose de sensible se
construit, un langage déroutant, dans la trame du visible et de
l'invisible.
Mais c'est pourtant dans la
ligne même du dessin, c'est à dire dans l'élaboration d'un espace,
que tout se joue. Le dessin, le noir et blanc où tout se cristallise
ici, prennent en charge matière et objets. Ainsi, quand le travail
de l’archéologue consiste à agir dans les profondeurs, celui de
l'artiste est au contraire ascensionnel. Pour l'illustrer, elle crée
des murs d'escalade fait d'outils préhistoriques moulés ici dans du
béton ou là dans de la porcelaine avec ses faces brillantes ou
opaques. De subtiles modulations de lumière se créent alors comme
ces fins filaments de verre évoquant le tremblement d'une onde
sonore ou celui de l'ébauche d'un langage perdu ou à venir. L’œuvre
est troublante parce qu'elle dépasse les frontières de l'espace et
du temps comme une plongée dans un songe romantique. Il faut la lire
aussi comme une méditation sur notre propre approche du monde:
L'art, la science, la poésie... Que nous disent-ils de ce que nous
sommes aujourd'hui ?
Musée
de Préhistoire Terra Amata et Galerie contemporaine du MAMAC, Nice,
jusqu'au 17 mai 2020.
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