Il
advient parfois que la trajectoire d'un artiste oscillant de l'ombre
à la célébrité, épouse la forme de son œuvre. Né en Suède en
1926, Lars Fredrikson fut un chercheur inlassable qui
poursuivit sa quête du réel à travers des périodes de notoriété
et des séquences d'oubli qui n'altérèrent en rien son obstination
à décrypter la réalité sensible, à lui donner corps, à entrer
par effraction dans le réel afin d' explorer ces diffractions par
lesquelles celui-ci agit sur les phénomènes qu'il diffuse et, par
extension, ce qu'ils impliquent sur nous-mêmes. Ainsi jusqu'à sa
mort en 1997, Lars Fredrikson ne cessa d'expérimenter dans le
spectre de l'art et de la technique tous ces champs, ces flux, par
lesquels les pulsations lumineuses ou les ondes sonores - quand ce
n'est pas par le biais du vide ou du silence – tissent le substrat
d'une réalité dont il convient d'exhiber l'essence et de formuler
l'invisible.
En
1960, Lars Fredrikson s'établit dans le sud de la France. Il possède
déjà une formation de peintre dont rendent compte quelques belles
toiles abstraites marquées par l'influence de la peinture américaine
d'alors et de la calligraphie chinoise et japonaise. Inspirée par la
philosophie extrême orientale, son œuvre reste cependant marquée
par son éducation scientifique et, plus précisément, ses
connaissances en électronique lorsque, avant son installation en
France, il fut ingénieur radio dans la marine marchande. Dès lors,
l'artiste joue de tous les dispositifs pour introduire l'interaction
d'une décharge lumineuse ou d'un simple point comme pour élucider
ce qui échappe à notre rationalité mais qui pourtant, agit sur
notre corps. Car ce travail d'apparence austère s'exerce sur le
sensible et notre relation intime à l’espace qui le façonne.
Ainsi de vastes sculptures d'acier inox, martelées, pliées,
gravées, mettent en immersion le visiteur saisi dans ses propres
déformations dans une grammaire de traces, de particules ou
d'incisions qui le déstabilise pour établir une autre relation à
lui-même, à son environnement et à l’œuvre d'art.
Parfois à l'intersection de l'art cinétique et de Fluxus, Lars
Fredrikson utilise des dispositifs illusionnistes, ou bien il
s'inscrit dans la trame du vivant, du flux, de l'aléatoire. A la
recherche d'un art total, il détourne à l'instar de Nam June Paik
des téléviseurs. Il introduit le son dans l’œuvre mais
contrairement à John Cage, il récuse toute notion de musicalité.
Le son reste une pure matérialisation de la captation des
phénomènes qui rythment l'univers mais auxquels nous demeurons
aveugles.
Le
réel s'affronte ici au virtuel par l'entrelacement des jets, des
griffures ou des fulgurations. Le mouvement sonde le vide, formule
des hypothèses. L'espace se trouble alors de cette immatérialité
qu'il désigne. Plus de deux cent œuvres et documents - des
collages, des gravures réalisées sous l'auspice d'Adrien Maeght
dans sa Fondation, des encres déchirées par la lumière, des
pulsations de fréquences balaient cet écran où le réel se débat.
Parasitage et saturation entrent dans la danse, les nervures de la
météorologie, les ondes radioamateurs se diffusent et sondent
l'intériorité de l'espace et des êtres. Tout est rythme, passage,
disparition et l’œuvre de Lars Fredrikson en figure l'empreinte
mouvante.
Jusqu'au 22 mars 2020
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