Nina Childress
« Futur,
ancien, fugitif. Une scène française ». Le titre d'une
exposition aura rarement autant présidé à l'orchestration des
œuvres présentées. Très diverses dans leurs formes comme dans ce
qu'elles diffusent, celles-ci établissent un état des lieux selon
le regard d'une quarantaine d'artistes français nés entre 1930 et
1990. Chacun d'eux dispose désormais de sa propre histoire par
l'esprit de l’œuvre qu'il s'est forgée mais ce passé détient
surtout les clés d'un futur et ce n'est pas le moindre mérite de
cette exposition que de nous permettre de l'appréhender et d'en
subodorer déjà les prochains développements possibles. Car tout
est hasardeux, éphémère, « fugitif » et l'artiste
n'est que l'élément d'une scène toujours en construction quand
œuvres et créateurs s'interrogent et se répondent mutuellement
dans des jeux d'attirances ou d'oppositions grâce auxquels vibrent
toutes les cordes du vivant.
Parce
que tous ces artistes sont restés atypiques, hors des modes et
agissent sous les radars qui auraient pu consacrer leur célébrité,
cette riche exposition du Palais de Tokyo permet de proposer, plus
qu'un bilan, une nouvelle lecture de l'activité artistique en
France de la deuxième moitié du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui.
Loin des grands mouvements qui ont pu structurer la scène française,
l'exposition retrace le parcours d'individualités fortes pour un
récit qui s'inscrit dans l'épaisseur du temps, de ses strates,
comme autant de possibilités pour défricher le présent, en
proposer une autre visibilité. Il serait vain de chercher quelque
analogie, par exemple, entre les fascinantes toiles de Nina
Childress - par leur tension narrative et cette lumière folle
qui désarticule les formes et les corps - et le travail d'Adrien
Vescovi en relation avec l'histoire de la peinture, ses supports
et les aléas de la nature et du temps sur la production de l’œuvre.
D'un artiste à l'autre, sur des chemins parallèles, peinture ou
teinture, les créations se croisent et tissent un réseau de fils
pour traduire ce qui nous relie au monde pour, chaque fois, un regard
nouveau ou la fulgurance d'une nouvelle hypothèse.
On
se cogne à la froide absurdité du monde avec les portraits de
Jean-Luc Blanc, on se raccroche à de folles
cosmogonies avec les dessins et pastels de Corentin Grossman
quand ce n'est pas Alain Séchas qui, par le biais du
quotidien, déconstruit avec humour notre catalogue des idées
reçues. Mais comment citer ici tous ces artistes qui jouent dans ce
vaste concert, sa propre partition ? Donc il faut les voir, un
par un, les penser chacun dans sa relation à l'autre et
l'exposition restera alors, à coup sûr, l'une des plus
passionnantes que le Palais de Tokyo nous aura proposée.
Palais de Tokyo, Paris, jusqu'au 5 janvier 2020
Jean-Luc Blanc