mardi 29 octobre 2019

Guy Bourdin, « Zoom »







Jusqu'à sa mort en 1991, Guy Bourdin utilisa la photographie non pour s 'emparer du réel mais pour le transformer. Pour cela il investit la publicité et la mode en en déjouant les codes et les conventions, en ne s'interdisant rien pour puiser dans tous les méandres de l'imaginaire. Corps et décors se toisent alors, se confondent ou se désunissent : Tout l'art de Guy Bourdin réside dans cette fascination du corps en décalage avec son environnement. Souvent réduite à une prothèse, une jambe ou une main, la synecdoque renvoie alors à un paysage mental que le spectateur recompose. On pense à Magritte, à ses inversions de sens, à ses compositions en creux pour mettre à plat le mystère de chaque chose. Le photographe joue de l’illusionnisme et de l'outrance, l'image est décadrée, la sophistication est à son comble, la couleur jubile, l'inspiration surréaliste se livre librement entre humour et provocation.
Grâce à Man Ray, il collabora durant une trentaine d’années au magazine Vogue. Il révolutionna la photographie de mode en substituant à sa finalité commerciale et à la seule présence du produit, un imaginaire cinématographique. Chaque image contient un récit, une béance irriguée par des fantasmes qui transforment le spectateur en voyeur et le photographe en metteur en scène fétichiste pour des chaussures de Charles Jourdan et pour des objets de bien d'autres marques. Dans l'univers séduisant de la publicité, Guy Bourdin introduisit le sexe et la violence. Dans les coulisses du luxe et de la beauté, le sang mauvais du rêve griffe l'image. Le vernis rouge d'un ongle ou d'une chaussure explose dans la douceur d'un paysage. La répétition d'un même motif souligne l'angoisse obsessionnelle. Douceur du poison et part maudite sont ici tapies au cœur de la beauté.
Plus qu'un photographe Guy Bourdin fut un explorateur de l'image. Il travailla sur sa forme, il la décomposa pour en extraire sa substance et la nourrir de ses propres fantasmes. Si l'image publicitaire idéalise l'objet, Guy Bourdin parvint à le rendre désirable par sa seule lumière sombre et la troublante irruption de l'imaginaire.

Musée de la photographie Charles Nègre, Nice

jusqu'au 26 janvier 2020




mardi 22 octobre 2019

« Nous les arbres », Fondation Cartier


Paris, jusqu'au 10 novembre
   Fabrice Hyber

Ils sont vivants, ils nous parlent, ils nous interpellent. Les arbres sont aussi l'ombre de nous-mêmes, enracinés dans la terre, la tête dressée contre le ciel. La nature, les artistes l'ont si souvent peinte mais voici que, dans l'espace de la Fondation Cartier, elle traverse le miroir de la représentation pour venir à nous, nous faire confidence de cette intimité qu'elle dévoile par son intelligence propre et ses capacités sensorielles. Philosophes, botanistes et artistes entament ici un dialogue fécond avec les arbres, leur murmure, le frémissement d'un feuillage ou le râle d'un tronc qu'on abat.
Au rez-de-chaussée, de vastes toiles de Fabrice Hyber donnent le ton : La voix de l'arbre se fait entendre. C'est lui qui répand son coloris, l'excroissance de ses formes dont l'artiste extrait la sève ou les radicelles de ses nerfs. Il imagine le rayonnement de son énergie, il en capte tous les indices et pourtant c'est aussi cet arbre qui nous soumet à sa propre représentation de nous-mêmes. L'arbre réalise ici une forme d' autoportrait et nous y percevons une image de ce que nous sommes. L'universalité du vivant, tel est le fil rouge de cette peinture qui inaugure l'esprit de toute cette exposition.
Qu'ils soient perçus d'un point de vue scientifique, écologique ou poétique, les arbres sont les héros d'une aventure de laquelle nous ne sommes jamais absents. Chênes ou roseaux, métaphores de nous-mêmes, ils nous renvoient à notre propre diversité, à la multiplicité de nos visages et de nos cultures. Mais en même temps, ils sont le signe de ce qui nous relie aux autres et à l'univers. La force muette des arbres résonne ici dans les œuvres réunies dans un même souci de faire éclore la voix du botaniste mêlée à celle de l'artiste. On y rencontrera des dizaines de créateurs de tous les continents. Dessins, vidéos, photographies ou peintures illustrent une même volonté d'entrer dans la peau de l'arbre, de le comprendre et de le protéger. Poétique et politique se confondent ici comme les vastes compositions de Johanna Calle ou les œuvres vidéo et sonores de Paz Encina.
Le jardin reste bien sûr le lieu privilégié pour cette rencontre avec l'arbre. Entre des souvenirs d'Agnès Varda et une superbe sculpture en bronze de Giuseppe Penone, le visiteur flâne dans ces lieux de rêverie et d'émerveillement quand les œuvres d'art se déploient dans l'intimité de la nature.

                                  Charles Gaines

lundi 21 octobre 2019

Katinka Bock, « Tumulte à Higienopolis »


Jusqu'au 5 janvier 2020
Lafayette anticipations, Paris



Elle a fait partie des nommés pour le prix Marcel Duchamp 2019 et ses travaux s'articulent avec un lieu spécifique dont elle sonde les propriétés à partir de sculptures, installations et performances. Katinka Bock met donc en relation deux architectures, celle de la Fondation d'entreprise Lafayette - un ancien bâtiment industriel du XIXe siècle rénové par Rem Koolhass - et celle du Anzeiger Hochhaus, siège du journal éponyme, achevé à Francfort en 1928 et qui fut l'un des plus hauts bâtiments d' Europe. C'est là qu'en 1947 sortira Der Spiegel qui ambitionna de redonner à l'Allemagne les conditions d'un débat démocratique.
Donc une architecture et une histoire spécifique servent de passerelle à Katinka Bock pour explorer les relations entre un espace, son rapport au temps et à sa fonction sociale. L’œuvre qui en résulte est une lecture matérielle de ces conditions à priori. La pièce centrale, une sculpture de 9 m de hauteur, se développe à partir des feuilles de cuivre du dôme de l'Anzeiger que l'artiste récupéra avec ses blessures causées par les bombardements ou par les vicissitudes de la météo ou du temps qui passe. Ces feuilles, par leur disposition, sont aussi la métaphore de celles qui sortirent des rotatives du journal. La sculpture est enserrée dans un vide vertical et se déploie en s'ouvrant dans l'espace comme une enveloppe qui détiendrait un récit que l'artiste nous laisse pourtant imaginer. C'est là toute la subtilité de son travail : Ne montrer que les traces et la matière de son exécution, sculpter un signifiant pour laisser en jachères le signifié qu'il nous appartient de construire.
Autour de cette sculpture, « Rauschen » (Ressac), s'organisent toute une série d'interventions comme autant de reflets d'une vie sociale passée, d'une activité économique d'où toujours surgissent les empreintes du vivant. Usant de tous les matériaux, de tous les points de l'espace - sol, plafond ou saillie d'un mur – jouant avec discrétion de l’illusionnisme et confrontant l'immensité d'une sculpture avec des brides de sens constitués par exemple d'un gisant et de feuilles de céramique évoquant celle d'un journal, l'artiste permet au temps de refaire surface. Avec ses vides, ses rides et ses pliures, le temps se donne ici comme un récit ouvert, un espace à vivre.



"Gaïa, que deviens-tu?" 20 artistes internationaux



Maison Guerlain,
Paris, jusqu'au 8 novembre
        Fabrice Monteiro, Prophecy#6                         

De nombreuses expositions soulèvent désormais la question cruciale de l'environnement et de la préservation de la planète. Et partout on célèbre les arbres, on explore la nature dans toute sa diversité. Vingt artistes internationaux proposent leurs solutions plastiques à la Maison Guerlain dans le cadre de la FIAC pour répondre à ces enjeux.
Penser la nature c'est aussi envisager des formes, composer un paysage. Chen Duxi se réfère à la peinture chinoise pour relier le corps à la nature à partir de lignes se modulant autour du plein et du vide. Le détail, le microcosme sont ici la figure de la totalité du monde ou sa métaphore. Eva Jospin taille dans le carton des arbres entremêlées pour une forêt enchantée et pleine de pièges. Elle est un lieu initiatique et le matériau employé pour le révéler répond à des impératifs économiques et écologiques. Dans un tout autre registre, Douglas White présente une étonnante sculpture avec une couronne de racines qui rayonne sinistrement autour d'un pneu éclaté. Cette œuvre « Black sun », soleil noir de la mélancolie comme l'aurait écrit Nerval, nous soumet à une méditation sur la mort et la renaissance, l’accidentel et les lois naturelles. L'artiste participera à la prochaine édition du Festival OVNI à Nice de même que Lucy et Jorge Orta qui présentent ici un parachute de largage fait de drapeaux de plusieurs nations et d'un assemblage hétéroclite de vêtements et d'ustensiles liés à la survie possible de l’humanité en relation avec la solidarité humaine. Une vision optimiste que partage sans doute Otobong Nkanga à travers son regard sur la notion de territoire et de valeurs culturelles. Ceci tranche donc avec l'œuvre Sigismond de Vajay, sombre dans sa description d'un monde rongé par les ruines et la mort.
Au-delà de la qualité des œuvres choisies, le décor baroque et luxueux de la Maison Guerlain agit sur elles par contrepoint et leur permet d’acquérir cette puissante tonalité d'ensemble qui leur donne sens. Le luxe, la beauté, le parfum seraient-ils aussi menacés par cette pollution dont nous sommes tous responsables ?




dimanche 20 octobre 2019

Noël Dolla, Point à la ligne




Comment structurer un espace sans en découdre avec ses formes antérieures, sans en déterminer ses lignes de force, ses contraintes et sa finalité ? C'est à cette recherche que, depuis des décennies, se consacre Noël Dolla. Dans l'espace de la galerie parisienne Ceysson & Bénétiere comme dans le grand bassin du jardin des Tuileries, l'artiste explore les modalités de la peinture quand celle-ci n'est plus seulement déposée sur la toile mais qu'elle relève d'une construction mentale qui engage tout à la fois le corps, l'espace et le temps.
Dans la galerie, c'est une forme de ligne mélodique qui structure le lieu. Mais une ligne brisée par une série de points qui clôturent l'espace ou, au contraire, l'ouvrent tels des hublots pour de nouvelles perspectives. Le point d'impact, le cercle, la trouée, l'auréole sanglante scandent une matière pauvre. Et c'est aussi une « mise au point » sur la peinture elle-même. L'espace tour à tour s'élargit ou se réfracte quand, du sol au plafond, la peinture explose, quand des triangles translucides et perforés déroutent le regard ou la cible. Car ici, dans cette série « Snipers », la peinture est avant tout un combat. Elle n'est pas sans blessure, œil crevé, toutes ces meurtrissures sales que l'histoire dépose sur le monde. Noël Dolla y appose sa colère, déchire les tissus, panse les plaies avec des bandes de tarlatane. La peinture jaillit d'un fusil à air comprimé, elle souille de son sang le corps de la toile dans ces taches que l'artiste appelle les « fleurs du mal ».
Dans le grand bassin du jardin des Tuileries, Dolla se confronte, cette fois-ci sur un mode poétique, à l'histoire de la peinture. Le point est ici rendu par la circularité de quelques cinq cents parapluies immergés dans une eau trouble. La surface mouvante de cette eau est seulement déchirée par leurs embouts et s'anime de figures dans lesquelles nous retrouvons les nymphéas de Monet tels qu'ils apparaissent dans le Musée de l’Orangerie qui jouxte le bassin. Et dans ce « Nymphéas Post déluge II », ponctué d'auréoles rouges, Noêl Dolla nous offre la création la plus saisissante de la programmation hors les murs de la FIAC 2019.

Galerie Ceysson&Bénétière, Paris, jusqu'au 7 décembre 2019





jeudi 10 octobre 2019

"Arbres, l'intime échange", Centre Art Contemporain Châteauvert.


« Arbres, l'intime échange »
Centre d'Art Contemporain Châteauvert

Albane Hupin, "Silva"

A travers ses larges baies vitrées, le Centre d'Art contemporain entre en résonance avec la nature et les arbres qui l'environnent . Entre leur réalité et leur artefact à l'intérieur du Centre, une relation intime se noue au travers de la vie végétale et de la sensibilité de l’artiste. Dans ce partage du vivant, l'arbre est saisi dans ses aspects matériels quand il distille la lumière ou, au contraire lorsque les feuillages l'absorbent pour la confondre dans l'opacité d'une masse. Mais les arbres, ce sont aussi des formes et des couleurs, et aussi des mythologies et des cultures quand en Afrique, sous leur ombre, se jouent la palabre ou les fils inextricables de la magie.
Regards, méditation, réflexion sur notre relation au végétal, telles sont les attitudes déployées par les artistes pour rendre compte de leur dialogue fécond avec les arbres. Avec leurs racines, écorces ou feuillages, leurs corps sont en prise avec le nôtre. Ils jalonnent des errances poétiques ou délivrent l'écho mystérieux de la forêt primitive. La diversité de la nature répond ici aux multiples approches des 15 artistes qui s'en saisissent. Par la peinture, Emmanuel Billon figure l'arbre au travers de l'imaginaire, dans son rapport au mysticisme et à la mort. La couleur est somptueuse dans sa brume et la matière végétale s'évapore dans une auréole lumineuse. A l’inverse, les peintures d'Yves Conte pensent l'arbre physiquement, dans sa totalité et son rapport à l'espace. Mais sa matérialité renvoie aussi l'image d'une culture dont nous ne pouvons nous affranchir. Gérald Thupinier quant à lui se livre à un corps à corps avec les feuilles qui se fondent dans l'épaisseur de la matière picturale et les signes sont comme le présage des mots. Alexandre Hollan célèbre un échange silencieux et contemplatif avec l'arbre dont il éprouve la densité ou bien la fragilité des brindilles et des nervures. Il y a aussi le superbe reflet de l'arbre caressé par le vent dans une flaque de lumière sombre dans l’œuvre d' Henri Olivier et ces somptueux panneaux d'Albane Hupin qui absorbent l'arbre dans sa sève quand elle les teint à partir de décoctions d'écorces de chêne et de noix de galle.

Toute l'exposition célèbre cette expérience de l'intime entre l'arbre et l'artiste. Celle-ci prend tout son sens dans la présence d'une pelle « 7000 Eisen » de Joseph Beuys qui nous rappelle qu'elle servit à planter 7000 chênes. L'art est ici une action, un événement qui agit au cœur de la vie pour une une renaissance possible : Un art écologique.

Elodie Barthélémy, Joseph Beuys, Emmanuel Billon, Sylviane Bykowski, Yves Conte, Charlotte Agnès Dugauquier, Alexandre Hollan, Albane Hupin, Angelica Julner, Charlotte B.Lacordaire, Michel Loye, Christian Nironi, Henri Olivier, Yoyo Sorlin, Gérald Thupinier

Emmanuel Billon, "Danse macabre"
Jusqu'au 1 décembre 2019


vendredi 4 octobre 2019

Alain Lestié, "Par moments"



Galerie Depardieu, Nice
Jusqu'au 2 novembre 2019

Par le titre d'une exposition, les mots hantent parfois une œuvre. Si l’exposition précédente d' Alain Lestié s'intitulait « Contretemps », celle-ci « Par moments », introduit de nouveau le temps à l'intérieur du dessin. Non pas un temps linéaire mais une durée fragmentée qui se lit par strates dans l'épaisseur du papier, le gras du crayon et son effacement. Voici un récit dont les phrases défient toute chronologie mais se donnent par séquences, appositions et oppositions de sens.
Alain Lestié juxtapose ses feuilles. Il les organise selon des motifs contradictoires dans un clair obscur où figuration et abstraction se mêlent et se dissolvent. Une architecture improbable en surgit : un univers chargé des signes d'une force primitive, chaotique, avec des questions, des mythes, des mots. Et tout cela se dissipe encore, revient par vagues, crée des hiatus, se dit et se renie. Ne reste que l'essentiel, c'est à dire l'indéfinissable, ce qui surgit dans les marges quand de la masse crayonnée vont sourdre des éclairs de représentation aussitôt éteints par d'autres qui se superposent à eux – éléments géométriques, balbutiements d'objets ou de symboles, d'appels, de mots griffonnés...
L’œuvre parle du temps et de ses débris. Les choses s'y déposent comme des rudiments de signes et la lumière qui surgit rature la chape sombre du passé pour en extraire un écho, quelque chose d'essentiel, de définitif et pourtant si lointain. Le dessin est ici un mystère. Un sous-bois se mêle à un graffiti, un papier froissé est un trompe l’œil et la rigueur géométrique contredit les bruissements de la nature. Cet impossible c'est celui d'un temps suspendu et distendu. Alain Lestié le rend visible mais le dessin reste cette déchirure vers l'invisible.


mercredi 25 septembre 2019

Taus Makhacheva et Felipe Arturo, Biennale de Lyon



Coudre le réel ou en découdre

S'il lui faut introduire de la pensée, la fonction de l'art ne réside-t-elle pas surtout dans une volonté de produire des objets non identifiés ? Taus Mahhacheva, pour sa participation à la Biennale de Lyon, propose un véritable OVNI conceptuel et formel. Supposé, dans son origine historique, être volant, l'objet ici se déploie, flottant dans l'air et l'espace de l'usine Fagor, comme en suspens parmi ses références et son contexte. L’œuvre, au-delà de son imposante présence formelle, est un récit, un patchwork constitué de plusieurs strates narratives.
L'artiste d'origine russe recompose un aérostat, « Le Flesselles », réalisé et lancé à Lyon en 1784. Elle met en scène les formes et l’histoire de cet événement en en fournissant une reproduction métaphorique dont elle réécrit la trame en fonction des préoccupations actuelles de notre monde. La forme est empruntée à l'objet initial et reconnue comme telle. Pourtant cet élégant et imposant cocon blanc, flottant dans l'espace, n'est plus identifiable dans sa fonction. Entre des zones de plein et de vide, il se dilue dans un contexte vestimentaire qui est aussi celui de la robe et de ses matériaux, de la féminité et du ventre. On devine des attaches qui pourraient être de la dentelle de même qu' une crinoline comme armature de ce dispositif.
L’œuvre se nourrit d'autant plus de ces ambiguïtés qu'aux tissus employés, elle juxtapose l'idée du tissus social. En effet, à un corpus et à des technologies anciennes, l'artiste superpose les techniques actuelles en utilisant celles des étudiants en création de costumes d'un lycée de Lyon. Les notions d'histoire et de technique dans un champ social déterminé ne cessent de délimiter les contours plastiques de l’œuvre. Celle-ci se donne, dans un équilibre subtil, comme une histoire de la mode et du corps mais aussi tel un découpage sensible dans l'espace et le temps.
Comme Taus Makhacheva, l'artiste colombien Felipe Arturo fait partie du programme de résidence du SAM art projects et est donc présentée lors de cette Biennale. Il s'intéresse à l’économie à travers l'histoire et la géographie et réalise sous forme d'installation un musée imaginaire où se tissent toutes les connections à partir de la production du café jusqu'à sa consommation. Là encore la réflexion sur le présent se joue dans une série de dispositifs aussi surprenants qu'intrigants.

lundi 23 septembre 2019

« Penser en formes et en couleurs » Musée des Beaux-Arts, Lyon


 Jusqu'au 5 janvier 2020

                    Cet aphorisme que l'on prête à Georges Braque, « Le peintre pense en formes et en couleurs » est à la source d'une riche exposition au Musée des Beaux Arts de Lyon pour la 15eme édition de la Biennale. L’interaction de la forme et de la couleur, son incidence technique comme ses effets psychologiques, ont tissé une histoire inédite de la peinture tout au long du XXe siècle. Cette aventure est ici relatée non selon une approche chronologique mais par la juxtaposition de certaines recherches qui touchèrent à la relation à la matière, à la sculpture, au dessin et qui explorent les variations chromatiques qui en résultèrent.
               Formes et couleurs s'emparent peu à peu de leur autonomie mais s'émancipent de concert comme dans « La botte de navets » de Fernant Léger où la couleur n'épouse plus les contours mais se dispose en larges aplats qui illuminent le dessin sans intervenir dans sa construction. Steven Parrino en 1988, en déplaçant la toile de son châssis, dévoile un monochrome avec ses plis, ses ombres qui s'inscrivent désormais dans la seule objectivité de la matière. Celle-ci est ailleurs magnifiée par Eugène Leroy lorsque la couleur y germe pour l'éclosion silencieuse de la figure. Au contraire, Olivier Debré convoque l'espace qui tend peu à peu vers une tonalité plus transparente laissant libre cours aux sensations et à l'horizon de la monochromie. Un très grand format d'Olivier Mosset de 1987 où la toile est dépouillée de toute profondeur, vibre de la seule intensité de son champ coloré. L'espace se confond alors à la lumière et répond en contrepoint à l’outre-noir de Soulages.
                     Près d'une cinquantaine d'artistes se prêtent ainsi à cette exploration qui, aujourd'hui encore, ailleurs, sur d'autres supports et par d'autres chemins, ne cesse de nous entraîner dans cette merveilleuse aventure de la forme et de la couleur. En marge de la Biennale d' Art Contemporain et du gigantisme de ses installations, la peinture vit ici sereinement sa quête de la beauté.



Mengzhi Zheng, « Là où les vents se caressent »



Chercher l’intrus.

D'emblée l’œuvre ne coïncide pas avec son environnement, elle n'est qu'un incident qui déjoue l'espace industriel des usines Fagor à Lyon. Dans l'immensité grise du béton et de son architecture utilitaire, Mengzhi Zheng déconstruit le lieu, il en écarte la masse pour enchâsser une structure aérienne par le seul défi de l’intrusion. Voici donc une ode au nomadisme, à la légèreté du volume, à la transparence, à la liberté. Ici l'air circule, tout s'élève en courbe et en douceur. La couleur coule, immatérielle. Elle glisse sur des arcades adossées au vide, les ailes au repos, et déploie avec grâce la nudité de ses lignes. C'est un peu comme si l'on avait délivré Le Corbusier de son enveloppe de béton, comme si un ouragan l'avait déchiquetée.
Car c'est bien d'architecture qu'il s'agit ici. Mais d'une architecture désossée, évidée, livrée au seul jeu de ses sinuosités rythmiques. Et aussi une construction délicate, précaire, encore à l'état de maquette, qui prend et retient son souffle, adossée au flanc de la lourde architecture de l'usine Fagor comme si l'artiste, pour construire, s'acharnait à épurer, arracher à la matière angles et arêtes pour exhiber la pureté du vide. L’œuvre se donne dans son dénuement somptueux, pareille à une yourte dénudée, s'offrant à la liberté de l'espace dans son simple appareil fait de feuilles de plexiglas teintées de lumière, d'articulations sinueuses, de cordelettes et de plastique. Elle se déplie et se déploie dans la promesse d'un envol.
« Là où les vents se caressent »... Le titre de l’œuvre répond par ironie à celui de la Biennale. A lui seul il énonce la sensualité d'un espace quand le vide s'y engouffre et qu'il n'en reste que les seuls fils du dessin. Car Mengzi Zheng, à l'instar des grands paysagistes chinois, dessine l'espace , avec des fibres de lumière et de brume. Il dessine le vent en recherchant le ciel. Tout ici n'est que modestie, miracle des matériaux pauvres pour célébrer l'immatérialité dont l'artiste est l'humble serviteur.

Usines Fabor, Biennale de Lyon, « Là où les eaux se mêlent »
Jusqu'au 5 janvier 2020