L'espace
est traversé d'immenses voiles que l'artiste découpe et
reconstruit. Sur leur quasi transparence, elle peint la convulsion
ou la rigidité des corps réduits à des traces, à des empreintes
comme si cette mer était aussi un champ labouré, livré à tous les
ressacs des drames ou des rêves de l'humanité. On devine qu'il y
eut de la vie, de l'amour, de l'effusion mais on n'en perçoit plus
qu'un écho desséché, on n'en voit désormais que l'ossature.
Claire Tabouret peint les êtres à l'instant d'un nerf primitif,
avant tout récit, toute psychologie. Ils sont les fantômes qui nous
percent et nous interrogent sur ce que nous sommes. Les couleurs ne
sont plus captés dans le règne de la nature mais, acides, elles
surgissent d’un autre monde où des voix assourdies nous susurrent
des vérités enfouies, le rêve ou la possibilité d'un ailleurs
auquel la peinture nous permettrait d'accéder.
Les
silhouettes hantent l'espace, elles ondulent dans le souffle d'un air
marin dont nous subissons la mystérieuse pesanteur. Les voiles se
gonflent de ces empreintes humaines et terreuses tandis que, sur les
murs, acrylique et encres diffusent l'étrangeté de leur halo
lumineux. Emprunté a un poème d'Adonis, « If only the sea could sleep » est une superbe méditation sur l'horizon des
corps ou leur extinction, sur la déferlante des sentiments ou de
leur ossification, sur la poésie elle-même quand l'art parvient à
lui donner forme comme une musique parlerait le silence. Claire
Tabouret dit : « Je peins ce que je ne vois pas ».
L'art est alors ce point aveugle que la peinture révèle.
HAB Galerie, Quai des Antilles, Nantes