Musée Matisse, Nice, du 23 juin au 29 septembre 2018
Matisse, Jeune fille en blanc, fond rouge, 1946
Chacun
savait qu'il était le plus grand mais en même temps jalousait le
génie de l'autre. Pourtant, au-delà de cette rivalité, les deux
hommes entretenaient une relation féconde, tissée d'influences
mutuelles et parfois de signes discrets où l'un rendait hommage à
l'autre. De ce dialogue qui s'instaure entre les œuvres de Picasso
et celles de son aîné, Matisse, naît cette exposition dont il
faut saluer l'intelligence de la présentation ainsi que la qualité
exceptionnelle des œuvres présentées.
Ce
dialogue aurait pu se limiter à une confrontation entre la virulence
méditerranéenne de Picasso et le nord plus retenu de Matisse si celui-ci, dans
la découverte du sud ne s'était engagé dans une simplification de
l'espace par une utilisation radicale de la couleur. C'est donc aussi ce
sud-là qui se trouve glorifié au sommet de la colline de Cimiez au
Musée Matisse.
Matisse
commença sa carrière dans l'atelier de Gustave Moreau et l'on sait
combien celui-ci insistait d'avantage sur l'esprit plutôt que sur la
seule habileté de la main. Mais il fallut que plus tard il
rencontrât la Méditerranée pour qu'il s’imprégnât de ses
couleurs chaudes auxquelles Picasso adjoignit l'intensité du corps.
A travers la « comédie du modèle » c'est bien cette
relation au corps qui apparaît au cœur de la préoccupation des
deux artistes. Corps bestial et dionysiaque chez Picasso, corps
apollinien et apaisé chez Matisse. Le titre de l'exposition,
emprunté à Aragon dans « Henri Matisse, roman » nous
entraîne déjà dans le sillage de cette histoire ambiguë, faite
d'admiration mutuelle et de rivalité, qui nous est racontée ici en
quatre sections dont chacune illustre une modalité particulière du
rapport de l'artiste à son modèle.
« Projeter »
inaugure ce parcours et nous montre que la peinture n'est plus
simplement une question de regard mais qu'elle engage la totalité du
corps et des sens. Et que le corps du modèle répond à celui de
l'artiste et qu'il entre en résonance avec qui le regarde.
Fascinante mise en abyme qui se décline en particulier sur deux
superbes tableaux, « L'artiste et son modèle » d’Henri
Matisse en 1921 et Pablo Picasso « Peintre à la palette et au
chevalet » en 1928.
« Transformer »
insiste sur la façon dont ces deux artistes vont s'affranchir des
règles de la représentation anatomique, en particulier par
l'influence des arts primitifs, et comment en dépit d'un cheminement
inverse, ils se rencontreront dans l'idée d'une métamorphose florale,
la « femme-fleur » chez Picasso et l'univers végétal
comme cadre du corps chez Matisse.
Une autre section, « Convoiter »,
met en scène le désir, le rêve ou la réalité du corps, le modèle
ou la muse. La figure de l'odalisque sera peut-être ce point de
confluence pour les deux artistes. Celle-ci se retrouve dans le
dernier épisode de cette scénographie, « Posséder »,
qui met l'accent sur cette lutte d'angles et de courbes que l'un
privilégie à l'autre, une lutte faite d'étreintes dans l'écho de
la mythologie, des nymphes et des faunes. C'est peut-être là que la
personnalité des deux artistes s'exprime avec le plus de sincérité
dans ce qui les rapproche et ce qui les oppose.
Ce
ne sont pas moins de cent-vingt œuvres qui nous sont ici présentées.
Des peintures, sculptures et dessins soutenus par des documents
révélant les artistes dans leur environnement , en particulier des
photographies de Brassaï, Cartier-Bresson, Lucien Clergue... Voici
donc un événement rare. Sans doute l'exposition de l'été à
Nice!
La Strada, N° 298
La Strada, N° 298
Picasso, Peintre à la palette et au chevalet, 1928