samedi 27 juillet 2019

Claude Lévêque, "Human fly"


La mémoire se heurte à la réalité contemporaine et aux mythologies qu'elle suscite. Cela suffit à rendre provocante l'oeuvre de Claude Lévêque.  D'autant plus que ses installations procèdent par de déroutants détours qui contrastent avec l'extrême simplicité de son propos. Ainsi « Human Fly » fait-il référence au souvenir d'une musique des Cramps - un rappel de la culture punk dont l'artiste est issu, mais aussi à la mouche qui, avec son système de vision diffracté, impose un autre regard. Un autre détour donc, une autre plongée vers l'enfance. Et aussi une fausse entrée dans l’œuvre attendue quand l'affiche de l'exposition reprend l'image d'un manège avec ses avions naïfs dans les couleurs d'un temps passé.
Comme toujours, la simplicité de la démarche et des matériaux - objets, sons et lumières – se confronte à la démesure de l'effet produit. Dans l’ancienne base sous-marine de Saint Nazaire, Claude Lévêque réactive ce champ de mémoire par l'intensité du choc perceptif. Nulle narration n'émergera de cette tension permanente entre un lieu souterrain et clos, sa masse de béton brut et le rappel du chaos des bombardements dont elle fut l'objet. Seul importe l'effet provoqué chez le spectateur qui, à son insu, réactualise le désordre sensoriel de ceux qui le subirent.
Claude Lévêque, une fois de plus, s'attache à cette distorsion qui s'opère entre un lieu, sa fonction, son architecture et l'événement qu'il crée, non pour pour signifier ou restituer une mémoire mais plutôt pour briser le carcan de l'espace et du temps dans lequel tout récit se construit. Ce qu'il poursuit c'est l'éphémère, le choc du présent, le déséquilibre et la perte des repères sensoriels à l'assaut de la subjectivité jusqu'au risque de la perte de sens.
 Ainsi cet environnement n'est-il constitué que de structures de tiges en inox qui réfléchissent le flash des projecteurs dans une nuit parsemée d'éclairs. Les sonorités assourdissantes et métalliques déchirent l'espace jusqu'à l'insupportable. Plaisir et révulsion s'entremêlent pour une expérience où l'abstraction est poussée jusqu'à l'explosion qui structure notre conscience dans un linéament de fulgurations pour d'autres possibles. Nous voici soumis à une expérience dont nous devenons les seuls maîtres. Claude Lévêque nous dit : « Seul l'art propose des visions, le reste, le spectacle de la politique médiatique, ne fait pas rêver. Seules les poches de résistance sont essentielles. »

LIFE, Base des sous-marins, Saint-Nazaire                             Jusqu'au 29 septembre 2019




vendredi 26 juillet 2019

Claire Tabouret, "If only the sea could sleep"



Si seulement la mer pouvait dormir... A cette rêverie interrompue, Claire Tabouret donne forme et mouvement, hisse avec force les voiles de sa peinture dans l'ancien hangar à bananes dans le port de Nantes. Une histoire de voyage et d'immobilité. Ou même d'exil, peut-être, quand on sait le mépris que certaines institutions en France réservent à la peinture... De l'autre côté de l'Atlantique donc, Claire Tabouret nous renvoie des œuvres fortes, d'une poésie grave aux couleurs intenses et parfois douloureuses – peintures, dessins ou sculptures de plâtre, tous marqués par la présence des corps mais aussi de leur solitude ou de leur absence au monde.
L'espace est traversé d'immenses voiles que l'artiste découpe et reconstruit. Sur leur quasi transparence, elle peint la convulsion ou la rigidité des corps réduits à des traces, à des empreintes comme si cette mer était aussi un champ labouré, livré à tous les ressacs des drames ou des rêves de l'humanité. On devine qu'il y eut de la vie, de l'amour, de l'effusion mais on n'en perçoit plus qu'un écho desséché, on n'en voit désormais que l'ossature. Claire Tabouret peint les êtres à l'instant d'un nerf primitif, avant tout récit, toute psychologie. Ils sont les fantômes qui nous percent et nous interrogent sur ce que nous sommes. Les couleurs ne sont plus captés dans le règne de la nature mais, acides, elles surgissent d’un autre monde où des voix assourdies nous susurrent des vérités enfouies, le rêve ou la possibilité d'un ailleurs auquel la peinture nous permettrait d'accéder.
Les silhouettes hantent l'espace, elles ondulent dans le souffle d'un air marin dont nous subissons la mystérieuse pesanteur. Les voiles se gonflent de ces empreintes humaines et terreuses tandis que, sur les murs, acrylique et encres diffusent l'étrangeté de leur halo lumineux. Emprunté a un poème d'Adonis, « If only the sea could sleep » est une superbe méditation sur l'horizon des corps ou leur extinction, sur la déferlante des sentiments ou de leur ossification, sur la poésie elle-même quand l'art parvient à lui donner forme comme une musique parlerait le silence. Claire Tabouret dit : « Je peins ce que je ne vois pas ». L'art est alors ce point aveugle que la peinture révèle.

HAB Galerie, Quai des Antilles, Nantes
Jusqu'au 15 septembre 2019





samedi 6 juillet 2019

« Dalí, une histoire de peinture »

Forum Grimadi, Monaco
Du 6 juillet au 8 septembre 2019


Il s'agit ici de décrire le parcours d'un homme avec sa complexité, son extravagance et le génie qui, disait il, l'habitait. Mais, toute sa vie, il la consacra à la peinture, non seulement à la sienne mais à celle des grands Maîtres qu'il admirait. Le génie de Salvador Dalí consista dès lors à brouiller les repères entre le réel et l'imaginaire, à tendre vers une perfection méticuleuse tout en jouant de  l'outrance de sa palette et de ses figures, à assumer son emprunt aux maîtres du passé tout en méprisant toutes les conventions.
Le réel pour Dalí ce fut surtout Cadaquès et sa maison blanche dans la petite baie de Port Lligat qui, de la mer, rampe par espaliers vers le ciel. Avec sa lumière sauvage, un vent cru qui cisaille roche et soleil. Et le cadre des fenêtres ouvertes sur la Méditerranée comme l'incision du paysage sur ses toiles. « Il est impossible  de comprendre ma peinture sans connaître Port Lligat », écrivit-il. Sur les 4000m2 de cette rétrospective, un îlot central restitue l'ensemble de ce paysage autour duquel s'organise toute une série de salles qui le découvrent à partir de fenêtres ouvertes sur la folle beauté du ciel, de la terre et de la mer. Ce lien entre l’intensité d'un lieu et les différentes périodes du peintre est la sève de ce parcours initiatique.
A partir d'un fil chronologique, le visiteur, par des peintures mais aussi grâce à des dessins, des documents ou des photographies, vit la gestation d'une œuvre qui s'inscrit dans les grands mouvements de l'art du XXe siècle. Au début il verra la maison du père à Cadaquès, traitée avec une touche impressionniste. Puis des peintures audacieuses dans leur veine cubiste. Et même des tentatives matiéristes dans l'esprit catalan puis la découverte de Warhol et du Pop Art. La peinture tend alors à sortir de son cadre, à explorer les possibilité d'une troisième dimension, dernière étape avant le rêve ultime de Dalí, l'immortalité.

Mais tous ces mouvements qu'il traversa restent irrigués par le surréalisme dont il fut l'un des principaux acteurs tout en se maintenant en marge du mouvement. Pourtant l'exposition, sans éluder le cœur de l' œuvre, prend le parti d'en explorer les contours, de dévoiler les fantasmes et les angoisses qui l'agitent au-delà de la construction d'un style. Car le style de Dalí reste le vrai mystère que cette exposition permet au moins d'effleurer. Sans doute réside t-il dans les ombres tutélaires qu'il célèbre, la lumière de Vermeer, la puissance de Michel-Ange, la verticalité des cyprès dans « l'île des morts » de Böcklin, l'horizontalité de la terre avec « L’angélus » de Millet et toute cette écriture de l'angoisse et cette méthode paranoïaque-critique qu'il revendiqua. Le langage de Dalí c'est ce vocabulaire de symptômes qui se transforment en signes avant de se mesurer à la peinture de ses « pères » pour s'accomplir. Cette exposition est un moment important pour trouver une clé dans le mystère Dalí.

mardi 2 juillet 2019

Monster Chetwynd, "Monster Rebellion"


Villa Arson, Nice, jusqu'au 13 octobre 2019



L'influence de l’œuvre critique de Mikail Bakhtin sur son propre travail, Monster Chetwynd la revendique haut et fort. On y retrouvera donc la même appétence pour la polyphonie, la structure carnavalesque à partir de l'univers médiéval quand les récits s'entrecroisent, se contredisent:et tendent à subvertir l'autorité sociale et politique à partir de l'humour et des cultures populaires. L'analyse que Bakhtine conduisait à partir du roman, à travers notamment Rabelais et Dostoïevski, Monster Chetwynd la poursuit dans une œuvre burlesque et transgressive où la performance et le plurilinguisme des figures ne sont jamais absents.
Le nom que l'artiste se donne maintenant n'est d'ailleurs lui-même que l'actualisation d'une identité toujours mouvante en relation avec une œuvre elle aussi travaillée par la notion d' « intertextualité » : On y croise le monde médiéval, le rapport à Jérôme Bosch, les chauves-souris, les serpents et les salamandres mais aussi la bande dessinée, les fanzines et l'élaboration collective de l’œuvre quand, par exemple, elle collabore avec des groupes d'enfants...
L'imaginaire de l'artiste s'empare de la Villa Arson dans une débauche de créativité sur les murs, les plafonds ou le sol. Une ambiance sonore et un éclairage coloré soutiennent cette mise en scène punk et pleine d'humour. L'artiste y ajoute une revendication écologique par une relation forte avec les matériaux pauvres, légers, facilement transportables. Comme les enfants, elle crée du « monstrueux » avec du carton, du papier mâché auxquels elle rajoute latex liquide et autres éléments. Il en résulte un univers improbable, hors temps, parfois aussi sinistre que drôle mais qui nous transporte toujours dans le fabuleux royaume de l'imaginaire. Tout est d'une claudicante beauté et d'une logique estropiée quand les créatures fantastiques vampirisent une peinture de François Boucher tandis que, d'une pièce à l'autre, s'ouvre un nouveau décor pour un gigantesque carnaval.
Le monde nocturne de Monster Chetwynd est délicieusement irrévérencieux. d'une légèreté grimaçante. On y circule avec jubilation, on se heurte à nos fantômes, on erre dans le jardin des délices, on s'amuse de ces bricolages de quatre sous et l'on se dit que le monde est ainsi fait : Nous sommes étrangers à lui et pourtant nous y habitons. Ces créature hybrides qui nous regardent sont aussi une part de nous-mêmes.

Monster Chetwynd (ex Spartacus et Ex Marvin Gaye Chetwiyd) est née en 1973. Elle vit et travaille à Glasgow. Elle est représentée par les galeries Sadie Coles HQ à Londres, Massimo de Carlo à Milan et Gregor Staiger à Zurich.









Joan Miro, "Au-delà de la peinture"




Fondation Maeght, Saint-Paul, jusqu'au 17 novembre 


Il n' a eu de cesse de traduire en lignes et en couleurs cet émerveillement qu'il nous fait partager dans l'universalité de son langage. Miro nous parle avec de simples taches, des lignes, des couleurs franches et, mystérieusement, tous ces signes s'activent comme des notes musicales pour un concert d'astres, de lunes, d'étoiles ou de flèches. Une écriture primitive se grave à la surface de l’œuvre pour célébrer les noces du ciel et de la terre.
Dès 1927 l'artiste se passionne pour les multiples possibilités d'une œuvre graphique en relation avec des écrivains. Sa passion pour l'expérimentation le pousse à une maîtrise toujours plus perfectionnée de la gravure et de la lithographie. En 1947 il signe sa première lithographie pour Maeght Éditeur et l'aventure de l’œuvre graphique prend dès lors son essor. En 1964 Adrien Maeght crée l'imprimerie ARTE et ici l'artiste multiplie les catalogues, les affiches, les livres pour bibliophiles. Il collabore avec Eluard, Prévert , Tzara, Leiris et tant d'autres. L'écriture de Miro entre en résonance avec celle des poètes et cette exposition nous en fournit le témoignage et se lit autant qu'elle se regarde.
Tout est évident chez Miro : l'évidence d'un grand secret. Il dévide les nervures de l'univers, il saisit le tremblement de la vie, le glissement de la couleur dans un trait ou un point. Tout est si simple dans ces battements du monde saisis à leur origine. Miro peint, sculpte, dessine, grave cette aube silencieuse quand les mots et les choses ne sont encore qu'une semence étoilée. Il découvre la technique du carborundum auprès d'Henri Goetz à qui il écrira : « Une gravure pareille peut avoir la beauté et la dignité d'un beau tableau. » Le noir sera alors déterminant pour son œuvre gravée, à la fois comme signe et ponctuation de son inspiration poétique.
« Au-delà de la peinture » n'est pas seulement cette multitude de poèmes visuels réalisés par Miro sur plusieurs décennies, mais une exposition qui se concentre sur le récit d'un artiste fasciné par toutes les techniques d'une œuvre graphique. Le visiteur suit le cheminement d'une œuvre, les plaques de cuivre, les épreuves préparatoires, les différents tirages. L’œuvre est vivante et ne cesse de se déployer comme si chaque couleur, chaque ligne trouvait en elle-même sa propre respiration dans l'infini de l'espace.



dimanche 30 juin 2019

"Liberté, liberté chérie" Exposition collective


Espace Lympia, Nice
Jusqu'au 15 octobre 2019

                  Gérard Taride, Prison dorée

                                         Se confiner dans une démarche illustrative en dépit de la variété des approches et des formes qu'elle peut emprunter demeure le risque de toute exposition thématique. Très souvent les images et les genres se juxtaposent ou se chevauchent dans une relative cohésion sans une véritable analyse du thème abordé et des formes qu'elle implique. La réussite de cette exposition tient donc au fait qu'elle ne repose pas sur la célébration comme le titre « Liberté, liberté chérie » pourrait le laisser entendre. En préambule Simone Dibo-Cohen, Commissaire et Présidente de l'Union Méditerranéenne pour l'Art Moderne, cite Paul Valéry : « Liberté c'est un de ces mots détestables qui ont plus de valeur que de sens, qui chantent plus qu'ils ne parlent, qui demandent plus qu'ils ne répondent. » Son aspect indéfinissable, indéterminé, s'ouvre donc à tous les possibles à tel point que les mêmes mots pourraient correspondre à une définition de l'art.
                             Une vingtaine d'artistes vivants déclinent leurs propositions autour de cet horizon poétique, de ce « chant », de ce questionnement sur lequel reposerait le concept de liberté. Et si celui-ci est toujours en progrès, aveugle aux formes futures qu'il produira, le voici donc associé au domaine de la création. L'artiste est donc bien avant tout un créateur de liberté.
                                       Les œuvres présentées ici s'attachent toutes à exprimer un aspect précis du concept et l'on pourra seulement regretter que le propos soit parfois brouillé par d'autres thématiques telles que la cause animale. On en vient alors à confondre dangereusement liberté et morale... Les œuvres restent fortes et c'est l'essentiel. Liu Bolin s'immerge dans la réalité au point de se fondre avec les éléments dans lesquels il est photographié. Être libre est-ce alors fusionner, devenir invisible ? Et pour se protéger du monde ou agir sur lui ? Gérard Rancinan réactualise l'iconographie de la liberté en réinterprétant par la photographie le tableau de Delacroix. L'iranienne Shadi Rezaei, par le biais du dessin et de la vidéo, s'intéresse à la liberté du corps en relation avec les traditions culturelles et religieuses. Benjamin Sabatier s'attache plus particulièrement à la sculpture et à l'expérimentation qu'elle permet tandis que bien d'autres artistes évoquent la sexualité, la répression et les drames de l'histoire. C'est peut-être dans l'idée même de peinture et de figuration que François Bard pense ce concept de liberté. La figure anonyme, centrée jusqu'à l'étouffement, « dépeint » une forme d’absence, la cicatrice d'un manque. Il y a aussi Franta, Louis James, Philippe Perrin, Gérard Taride, Myrian Klein , Bennacer... L'exposition se tient dans un ancien bagne : La preuve que l'art peut vaincre l’oppression.





mercredi 26 juin 2019

Ben

                       Ben et ses invités, "La vie est un film"
                        Le 109, Nice, jusqu'au 19 octobre


Loin de se confiner dans sa tour d'ivoire, Ben a toujours voulu fédérer toutes les énergies créatrices, toutes les actions et performances en relation avec le public et les autres artistes. A 83 ans, le voici toujours en mouvement et, sur les 2000 m2 du « 109 » à Nice, il propose, non pas une exposition au sens conventionnel, mais plutôt un événement qui tend à montrer que « La vie est un film ».
Un film qui se dévide comme le flux du temps avec des images qui remontent des débuts de l'artiste vers la fin des années 5O et qui déferlent jusqu'à aujourd'hui, toujours avec la même pugnacité, le même sens de l'ironie et du doute. Sur un ring au milieu de l'espace, Ben se confronte à son environnement et, refusant toute hiérarchie, il présente une cinquantaine d'artistes, certains connus, mais aussi des amis ou des anonymes. De ce flot d'images ou d'aphorismes, c'est toute la diversité de l'art qui surgit en désordre comme si cet amas d'expériences et d'individualités constituait en lui-même une installation liée à une série de performances comme Ben excelle à en produire.
« L'art c'est la vie » ne cessait de proclamer Fluxus lorsque Ben rencontra Maciunas en 1963. Ce qui signifiait qu'au-delà de l’œuvre, l'art était partout et qu'il s'associait ainsi au non-art. Vie, art et film s'accordent alors dans ce jeu étrange mais plein de vitalité que cet événement révèle. L'art étant partout, chacun peut en revendiquer une séquence et, à la suite de Duchamp, tout le monde peut se prétendre artiste. Attitude iconoclaste qui, paradoxalement, tout en désacralisant l’œuvre, conduisit parfois à une autre forme d'élitisme. Pourtant ce geste nous permit de prendre conscience que cette énergie de l'art pouvait imprégner tous les actes du quotidien. Ben intervient précisément dans ce champ. Par l'outrance d'une écriture simple et répétitive comme par ses dessins aussi sûrs qu'hésitants, il signe la vie comme performance, dans un style reconnaissable, quotidien et populaire. On n' y décéléra aucune autre vérité que ce doute qui effleure le vivant, cette certitude que rien n'est certain au-delà du flux qui nous emporte.
On y croisera donc quelques célébrités dont Arman, Filiou, Armleder, Yoko Ono ou Combas et de jeunes artistes telles que Anne Laure Wuillai pour sa poésie de l'eau ou Laurie Jacquetty pour ses dessins du quotidien aux traits sensibles. Nous voici plongés dans le bouillonnement de la vie : Cela s'appelle la liberté.




mardi 25 juin 2019

Pablo Reinoso, "Surnature"

Polygone Riviera, jusqu'au 14 octobre



Ce sont ces instants où les objets du quotidien s'évadent de l'espace, le soulignent ou le contrarient, s'emparent d’une autre fonction que celle qu'il leur était assignée ou la transforment pour un autre destin. Des instants ou l'objet et la nature fusionnent ou se distendent pour l' apparition insolite d'une œuvre d'art.
De la nature au surnaturel, n'y aurait-il que le geste de l'artiste ? C'est lui qui, ici, installe ce temps contrarié entre l'agitation d'un lieu et le repos, la contemplation auxquels le promeneur aspire. Le banc est cet objet fonctionnel qui est devenu pour Pablo Reinoso une forme emblématique. Elle est destinée à accueillir le repos du corps, ses rêveries. Mais elle se prolonge par des excroissances enrubannées comme sortant de terre ou bien s'envolant par des lianes aériennes. Le rêve est ainsi fait d'une intériorité inquiète et d'une aspiration à une heureuse élévation solaire.
Les sculptures d'acier peint, si elles se développent souvent à partir de l'ossature du banc, peuvent revêtir d'autres formes toujours en relation à la nature comme dans « La chose », œuvre arachnide, surgissant de terre dans la trouble éclosion du plein et du vide. La sculpture se fait végétale, énigmatique. Elle respire et trouve son autonomie dans l'imaginaire du passant et par la chorégraphie qu'elle déploie dans ses écharpes de lumière et le lieu où elle repose. Ailleurs, posée sur un plan d'eau, « Talk » est cette conversation entre l'acier, l'eau et le ciel. Elle engage à l'échange, à l'inconnu des mots et des choses.
D'essence minimaliste, l’œuvre de l'artiste franco-argentin nous incite à la contemplation. Mais surtout elle impose sa vie intime faite de volutes et de boucles qui élargissent l'objet à d'autres possibles, la projettent vers l'infini de l'espace. Où sont alors les traces de la nature, la multitude d'objets de consommation ? Où sommes- nous dans tout cela ? L’œuvre d'art est toujours une réponse à nos pensées errantes. Pablo Reinoso se confie à nous dans la matière vivante de ses sculptures.




Simon Bérard et Tom Giampieri, "Tirer l'adresse"

Espace à vendre, Nice
                                  Jusqu'au 28 septembre



Deux artistes investissent « le château », c'est à dire la vaste salle dévolue autrefois à un générateur électrique, au bout de la cour de L'Espace à Vendre. Tous les deux sont animés par la recherche expérimentale sur la chimie de la couleur et, si chacun expose ses propres pièces, certaines sont réalisées en commun et témoignent des objectifs similaires qu'ils poursuivent. Mais le fil conducteur de l'exposition se développe à partir d'autres artistes à partir desquels leur réflexion s'est construite. On retrouvera donc dès l'entrée des œuvres de Roland Flexner, John Armleder, Stéphane Steiner et Dominique Figarella qui fournissent une clé de l'exposition en ouvrant le champ de recherche des deux artistes.
Le travail de Simon Bérard est largement citationnel et repose sur l'écart du langage et la manière d'accéder à la couleur. A partit des mots « caille » et « paille », il établit une relation matérielle et chromatique sur des supports variés en relation avec la nature. Par métonymie, un glissement s'effectue entre la caille, la bouche, l’œuf et des images analogues à partir d'haricots pour l'équivalence de forme et de couleur. L'artiste matérialise cet axe en usant de la paille pour la bouche susceptible de projeter le jaune d’œuf sur un support comme pour la technique ancienne du tempera. Et le jeu sémantique se poursuit par l'usage, par exemple, du chou rouge et du citron. Les effets sont surprenants et l'artiste part à la conquête des anciennes techniques en prenant appui sur des images comme détours ironiques de ces procédés.
Tom Giamperi s'intéresse plus directement à la couleur, aux modifications externes qu'elle peut supporter, par exemple par l'intermédiaire des UV. Lui aussi en explore les racines, s'amuse des pigments liés au bois ou au fer. Il y ajoute l'objet qui détourne le processus, la fourchette en plastique. Le dérisoire devient forme. La fourchette surchauffée étale ses fils blancs et trace des lignes qui jouent avec ou en disharmonie avec le fond coloré. Il en résulte une forme de bric à brac coloré ou de rébus plein d'humour. Tout dépend de la crédibilité philosophique qu'on accorde.aux deux artistes Ceux-ci se rejoignent dans certaines pièces ou l'identité de l'un ou de l'autre tend à se confondre quand l’œuvre n'est pas collective. D'ailleurs, comme synthèse de ces pratiques, un atelier miniature est construit comme une serre contenant l'ensemble des matériaux réels ou intellectuels à la base de ces recherches. Il y là quelque chose de sérieux et de malicieux. On s'amuse et on s'interroge sur cette trajectoire hasardeuse. On ne s'ennuie jamais.
« Tirer l'adresse » tel est le titre de l'exposition qui se déploie du sol au plafond quand le postulat de départ renvoie au rhizome qu'évoquait Deleuze. Toutes les pratiques s’enchaînent ainsi sur un axe horizontal comme sur une ligne d’horizon dans l'infini de l’œuvre et de ses repousses. Il suffit d'y croire.

jeudi 20 juin 2019

William Kentridge, "A poem that is not our own"


Loin de Nice...



« Je pratique un art politique, c'est à dire ambiguë, contradictoire, inachevé, orienté vers des fins précises : un art d'un optimisme mesuré, qui refuse le nihilisme. » déclarait William Kentridge. L'artiste sud-africain qui toujours combattit l'apartheid et le colonialisme ouvre superbement la voie à ce que peut être aujourd'hui un art politique. Domine souvent un discours victimaire et manichéen qui exclut toute forme de nuance ou de critique, qui sous couvert d'être la voix de tel ou tel groupe ethnique ou sexuel, impose ce qui toujours a menacé l'art pour se défaire de sa part maudite : la morale et le puritanisme. A ceux-ci, William Kentridge répond par la poésie, dans son expression la plus large, en s'emparant des germes de toutes les intolérances, des incompréhensions et des clivages pour les faire éclore par le biais du dessin, du film animé et bricolé, du théâtre et de la danse.
Adepte d'un art total, il explore le politique en le soumettant aux racines du mal, à son fond caché, à nos rituels et, principalement, à l’histoire de cette Afrique qui n'est écrite que par le colonisateur. L'artiste joue avec brio de tous les rythmes et les figures, parfois découpées en ombres chinoises, s'agitent au fond de la nuit comme des taches de lumière. Les images animées défilent dans la lenteur processionnelle d'un cérémonial. Le présent et le passé interfèrent dans le dessin tracé à traits virulents puis effacé, refait sur ses traces, photographié, puis repris encore sur un journal ou sur du carton. C'est sale et vivant. L'épaisseur du dessin au fusain se déploie comme sur des fresques. Ses découpes tour à tour douces, violentes ou ricanantes n'illustrent rien, elle ne sont que les figurines grotesques d'un rythme incantatoire qui vise à une forme de catharsis pour exorciser les démons de l'histoire, rendre l'écho de l'exil et des migrations. Entre apparition et effacement, tout se joue ici comme pour une métaphore de notre relation au monde.
Né en 1955 à Johannesburg, William Kentridge a été remarqué à la Documenta de Kassel en 1997 . Il a été exposé au Musée du Jeu de Paume en 2010 et au Musée Reina Sofia de Madrid en 2018.

Kunstmuseum, Bâle, jusqu'au 13 octobre 2019