Galerie Catherine Issert, Saint-Paul
Ici l'oeuvre se met à nu, exhibe sans complexe sa crudité et l'évidence de ses formes. Elle ne dévoile rien d'autre, dans sa lisibilité extrême, que ce qu'elle contient et que ce qui se rapporte à notre regard. C'est à dire ce qui nous permet de mesurer les choses à l'aune de nos codes culturels, de les accepter ou de les rejeter en fonction de ceux-ci. Or Benjamin Sabatier joue ici de références minimalistes, pauvres, qui rappellent l'architecture brutaliste avec tout ce qu'elle peut impliquer à la fois de refus "esthétique" pour certains et de conception sociologique et progressiste pour d'autres.
Cette pauvreté des matériaux, cette approche modeste et généreuse de l'art nous incitent à formater notre regard autrement, à le construire sur ce qu'il y a de plus humble.
Je me permets ici de reproduire le très beau texte d'Isabelle de Maison Rouge sur cette exposition visible jusqu'au 29 novembre 2016:
"Le titre de la
première exposition personnelle de Benjamin Sabatier à la galerie Catherine
Issert révèle tout un programme en soi. Il renvoie à la technique de
fabrication, au cahier des charges, au système de montage, voire même à une
manière d’employer son temps. De manière très pragmatique, un mode d’emploi est
un document qui explique la forme particulière de construction d’un objet ou de
fonctionnement d’un service. De manière programmatique, la notice annonce le
protocole auquel il va falloir se soumettre. Aussi, dès le départ nous savons à quoi nous en tenir : l’artiste nous
invite à une réflexion sur la forme autant que sur le processus qui l’a fait
naître. Il soulève des interrogations qui ont trait autant à l’art et son champ
opératoire qu’à la liberté de l’artiste vis-à-vis du travail technique (ou
socialement utile).
La
pratique de Benjamin Sabatier relève de la praxis. Il aime partir de la
découverte tactile des propriétés des matériaux et apprendre d’eux. Son
postulat s’appuie sur le contact direct avec la matière pour développer la faculté
de percevoir. Par son travail, l’artiste nous incite à nous interroger sur les
notions du faire et du savoir-faire. L’expérimentation, l’assemblage et
l’auto-construction, toujours au coeur de ses réflexions, le porte du côté des utopies
émancipatrices et de l’engagement – par exemple le mouvement Do It Yourself ;
dans le même temps, les formes qu’il déploie rejouent les grands
questionnements de la sculpture moderne, allant du constructivisme à l’arte povera.
Entre tension physique et équilibre
précaire, réels ou fictifs, les oeuvres de Benjamin Sabatier n’en demeurent pas
moins sensuelles. Les matériaux qu’il réunit, le bois et le béton, se trouvent
ici dans l’obligation de lutter ou de s’associer. Le premier se situe du côté
du chaud, du structuré, du naturel, du vivant alors que le second se positionne
dans le froid, le liquide, l’aléatoire et le minéral. Dans ces dualités, chacun
possède sa rudesse et sa douceur.
Le
vocabulaire formel de Sabatier, par métaphore, tient également du champ lexical
du chantier. Celui-ci convoque une certaine image du monde et traduit une
dynamique plastique, une esthétique en mouvance. Communémenle chantier indique
non pas un ouvrage achevé mais un travail en cours d’élaboration. En art, la
locution «Work in progress» (chantier en cours) est employée pour
qualifier un projet présenté pendant le temps de son exécution. C’est une
notion qui rend visible le processus. Comme le rappelle l’aphorisme de Paul
Klee placée en tête du livre La Vie mode d’emploi de George Perec : « L’oeil
suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l’oeuvre ». Le parcours emprunté
par l’artiste est rendu visible dans le résultat plastique : il révèle
l’effort, l’élaboration et la mise en forme. Il parle de la mécanique du faire
(et du défaire), du construire (et du déconstruire). Semblable enfin à
l’ambition du personnage de Bartlebooth dans le livre de Pérec, dont le projet
se détruirait lui-même au fur et à mesure qu’il s’accomplirait, il s’agirait
pour l’artiste, face à l’inextricable incohérence du monde, d’accomplir jusqu’au
bout un programme, restreint sans doute, mais
entier, intact, irréductible. Un manifeste en soi."
Isabelle de Maison Rouge, 2016
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